par BRUNO MATEI » 28 Juillet 2011, 12:14
Onze ans après son documentaire fleuve sur le festival de Woodstock, rassemblement hippie pour un concert musical historique de ce mouvement baba cool des années 1960, Michael Wadleigh réalise en 1981 son unique long-métrage, Wolfen, tiré d'un roman de Whitley Strieber. Echec public à sa sortie, faute d'avoir été vendu comme un divertissement d'horreur démonstratif, le film est heureusement couronné à Avoriaz du Prix Spécial du Jury en 1982.
A New-York, après avoir inauguré la future construction d'un projet immobilier de grande ampleur, un homme d'affaire, sa femme ainsi que leur chauffeur sont retrouvés sauvagement assassinés. L'inspecteur Dewey est chargé de l'enquête en compagnie d'une jeune psychologue, spécialiste des profils terroristes. Rapidement, ils vont découvrir grâce aux experts légistes que des poils d'animal ont été retrouvés sur le corps des victimes. Ils font alors appel à un spécialiste des loups tandis que la population indienne du Bronx est bientôt suspectée des meurtres.
Sorti en plein boom des films de loups-garous frénétiques, juste après les illustres classiques contemporains Hurlements (1980) et Le Loup-Garou de Londres (1981), Wolfen aura dupé une partie de son public qui s'attendait sans doute à un nouveau choc visuel en matière d'effets-spéciaux virtuoses et maquillages révolutionnaires. Que nenni, Wolfen joue à fond la carte de la suggestion et de la sobriété. La subtilité est en effet ici de mise puisque l'argument potentiellement fantastique est devancé par une intrigue policière à suspense, avant de nous dévoiler son message social et écologique sur la nature dépréciée par l'homme moderne et la relation spirituelle qu'entretiennent les indiens et les loups, exterminés communément par l'arrivée des européens dans une époque vétuste.
Le prélude, angoissant et violent, débute de manière horrifique avec ces trois protagonistes violemment agressés par une présence interlope dans l'environnement nocturne d'un parc serein. La trame s'applique ensuite à nous décrire le cheminement de l'inspecteur Dewey affilié à une jeune psychologue de renom pour tenter de résoudre sa nouvelle enquête criminelle improbable. En effet, après avoir suspecté la nièce de l'entrepreneur Christopher van der Veer, une femme militante pour la cause du terrorisme, le couple va rapidement s'orienter du côté d'un expert en animalerie, Ferguson, puisque des poils de mammifère sauvage ont été retrouvés sur les plaies des victimes. De surcroît, après la découverte de nouveaux cadavres retrouvés dans les quartiers adjacents, le collègue de Dewey, Whittington, réussit à diagnostiquer que chacun des cadavres (souvent des badauds désoeuvrés) souffrait d'une maladie majeure. L'inspecteur déconcerté envisage de se reporter auprès de la population indienne d'un paisible quartier, des émigrés travaillant sur les ponts en haute altitude et ayant déjà eu antécédemment quelques déconvenues avec la police du coin. C'est avec le témoignage déchu de ces indiens révoltés que Dewey va se retrouver face à une révélation spirituelle.
Avec une économie de moyens techniques spectaculaires et l'intelligence d'un scénario remarquablement structuré, Wolfen s'attache à nous émouvoir et nous interpeller sur la condition de la communauté indienne qui a vécu parmi la fidélité des loups durant 20 000 ans. Un équilibre naturel ancestral ancré en pays Américain jusqu'au massacre planifié par les européens. L'intronisation d'une ethnie violée par ces étrangers arrogants et opportunistes, avilissant les terres sacrées. Le loup, demi-dieu au pouvoir singulier a réussi à prendre le maquis pour s'installer dans les taudis délabrés, à l'abri de leur bourreau intolérant toujours apte à ériger les plus grandes mégalopoles urbaines pour la quête du profit et de la cupidité. Dès lors, les canidés ne feront que défendre et réaffecter leur restant de territoire (une église abandonnée, symbole de paix !) pour survivre tant bien que mal en sacrifiant les malades incurables ou les laisser pour compte.
Pour rendre crédible et hostile leur présence menaçante constamment à l'affût, Michael Wadleigh utilise un procédé visuel original souvent réalisé en caméra subjective, à la louma mais aussi à la steadycam. Des mouvements de caméra fluides et rapides permettant de suggérer la présence animale en vision thermique. C'est à dire qu'à travers le regard du loup, les sources de chaleur que dégagent les victimes observées sont perçues sous différentes couleurs fluctuantes que le réalisateur réussit à utiliser avec efficacité. Alors que le son entendu dans un rayon de quelques mètres est décuplé sous l'ouïe sensitive des mammifères attentifs.
Enfin, pour parachever, on ne manquera pas non plus de citer le seul moment véritablement échevelé du film. Un épilogue explosif remarquablement conduit et particulièrement intense auquel une meute de loups décide d'encercler nos protagonistes pris en estocade en plein centre urbain. La manière virtuose dont le cinéaste starise ses splendides mammifères velus au regard incisif captive un public fasciné de sa présence vindicative presque surnaturelle !
Superbement réalisé et adroitement découpé, rythmé par un score musical haletant de James Horner et dominé par un Albert Finney très investi, Wolfen est une clef de voûte du fantastique contemporain d'une grande intelligence dans le fond et la forme. Une manière subtile et intelligible de nous captiver avec l'entremise d'une fable poétique militant pour la cause et la sauvegarde des loups sauvages, mammifère mystique à l'aura impénétrable. Son message écologique en faveur de la nature davantage fustigée ainsi que le témoignage poignant rendu à ces indiens dépréciés de toute dignité culminent à une oeuvre formelle, humble, profondément touchante, perpétuellement fascinante.
Dans son arrogance, l'homme ne sait rien de ce qui, sur terre, défie l'imagination. Une vie aussi certaine que notre mort ! Une vie qui se nourrit de nous, comme nous de cette terre !
