Un Extrait
"Le prêcheur dit : "Ils disent que seuls les insectes survivent."
C'est un vieil homme à la tête famélique, les veines saillantes aux tempes, et ses mains dépassent de ses manches. Les manches de sa veste sont tellement étriquées qu'on voit ses poignets jusque très haut. De longs doigts qui marquent ses mots et des pinces à vélo sur son pantalon.
Trois gamins passent en courant, comme s'ils fuyaient l'endroit.
"C'est ce qu'ils disent et je les crois car ils étudient la question. De toutes les créatures que Dieu a mis sur terre, seuls les insectes survivent aux radiations. Ils ont des savants qui étudient le cafard à chaque seconde de sa vie. Ils l'observent quand il dort. Il passe par une fente dans le mur, il y a un homme avec une loupe qui l'attend là depuis l'aube. Et je les crois quand ils disent ques les insectes seront encore là quand les bombes atomiques abattront les immeubles et détruiront les gens tueront les oiseaux et les animaux et châtreront les chiens et les chats pourqu'ils puissent pas engendrer leurs petits. Je les crois en long, en large et en travers. Mais j'ai aussi des trucs à leur dire. Je les sais avant eux. On le sait tous, debout là maintenant, parce qu'on est vétérans d'un endroit spécial. Est-ce qu'on a besoin que quelqu'un nous dise comment les insectes survivent à l'explosion ? Est-ce qu'on ne le sait pas depuis le matin où on est né ? En vérité moi je vous le dis. Ici on n'a pas besoin d'une preuve scientifique que les insectes seront les les dernières choses vivantes. Ils en sontdéjà pas loin. Nous on meurt tout le temps, et les blattes sont toujours là à grimper sur les murs et sortir des fentes."
Manx jette un coup d'oeil dans l'autre direction. Il aimerait bien voir une dernière fois le concierge pour alimenter sa rancoeur.
Les gens s'arrêtent pour savoir de quoi parle le prêcheur de rue, six ou sept personnes debout en plein vent. Manx regarde le vieil homme avec son pantalon à revers comme un uiforme inventé par un gamin pour jouer au soldat. Il a quelque chose de vulnérable à l'endroit du crâne, sa tête nue, veinée, parcheminée. Un type l'écoute, intéressé, avec un chapeau français sur la tête, un béret noir, et deux femmes en costume de bonne soeur, soeur machin chouette de l'église sur le devant de la rue, ravie de vous rencontrer, avec des serviettes sur la tête et des figures renfrognées.
"Nul ne sait le jour ni l'heure"
Deux hommes en complet avec leurs femmes bien habillées, les hommes veulent écouter les dames disent non merci - les histoires de cafards ne sont pas leur truc.
" Les Russes explosent une bombe de l'autre côté du monde. Vous avez votre radio branchée sur les informations ? Je vous les dis, moi, les informations. Exactement à l'autre bout du monde. Et vous êtes là à me dire, ça veut rien dire pour moi. Vieilles histoires, que vous me dites. C'est l'affaire des généraux et des diplomates. Mais en ce moment, là, pendant que je vous parle et que vous m'écoutez, les autorités organisent la construction d'abris atomiques partout dans cette ville. Et devinez ce que n'entendez pas aux informations aujourd'hui. Il faut rester en plein vent pour m'entendre que je vous le dise. Chacune de ces personnes qui sera dans ces abris pendant que les bombes pleuvent sera un Blanc. En vérité je vous le dis. Parce qu'ils ne construisent pas un seul abri à Harlem. Bon. Ils mettent des abris dans l'Upper East Side. Ils mettent des abris en bas de la Sixième Avenue. Ils abritent soigneusement la 42 e Rue. Ils mettent des abris dans le Queens pas de problème. Ils abritent Wall Street bien au sec bien à fond. Avec des bombes A qui pleuvent du ciel, qu'est-ce que vous êtes censés faire ? prendre un bus pour aller dans le centre ?"
Outremonde
Don DeLillo
Traduit de l'américain par Marianne
Véron et Isabelle Reinharez