par BRUNO MATEI » 11 Janvier 2011, 10:39
Un an après l'excellent Scanners et ces tueurs d'une ère nouvelle aux pouvoirs télépathiques, David Cronenberg jette un pavé dans la mare en défaveur des médias et leur pouvoir insidieux à vouloir s'approprier coute que coute la rétine du spectateur, quelqu'en soit les moyens nauséeux et immoraux subtilisés.
Un directeur de chaine de télévision du canal 83, spécialiste en matière de programmes pornographiques, reçoit par l'intermédiaire d'un de ses collègues une cassette vidéo intitulée Videodrome. Ce programme extrême à base de tortures et de viols gratuitement commis sur des êtres humains n'est pas simulé et il semblerait que cette vidéo pirate soit l'oeuvre d'un utopiste clairement décidé à créer une nouvelle chair pour rendre un monde mieux armé face au danger menaçant des pays étrangers en expansion.
REAL T.V !!!
Attention long-métrage hallucinatoire à visionner avec précaution et modération ! C'est ce qu'ils auraient dû mettre en exergue au dos de la jaquette du film ou en guise d'avertissement en haut de l'affiche à sa discrète (et retardée) sortie en salles. Parce que vidéodrome s'insinue dans notre mental avec une tangibilité visuelle inédite et un pouvoir de fascination troublement malsain, étrangement fascinant, irrésistiblement malveillant dans sa perverse curiosité voyeuriste oh combien dangereuse et dérangeante pour ceux qui osent tenter l'expérience !
Le scénario d'une richesse thématique inépuisable est quasi irracontable tant la structure des faits narrés se distort et fusionne avec une réalité virtuelle régie par un organisme totalitaire. Un groupuscule mystique et anarchiste qui a décidé, par l'intermédiaire de la télévision, d'employer une nouvelle technologie futuriste pour renforcer une Amérique (paranoïaque) affaiblie par rapport aux autres pays du monde en voie de développement. Un moyen technique de contrôle perfide et manipulatoire capable d'hypnotiser et d'altérer la réalité des téléspectateurs, fascinés par l'outil cathodique par l'intermédiaire de ses programmes dérivés davantage violents, complaisants, destinés à épater et appâter les bas instincts du citoyen en manque de sensations nouvelles !
La parcours de notre directeur de télévision, Max renn, est un véritable labyrinthe mental de tous les dangers dans sa conscience pervertie contre son gré mais aussi organique dans son nouveau corps muté en magnétoscope humain par le lancement de l'entreprise Vidéodrome. Cette vidéo pirate provoquerait une tumeur au cerveau (voir, un nouvel organe maladif) à ceux qui oseraient regarder l'une des cassettes frauduleuses. Des spectacles extrêmes pratiquant sur des cobayes humains meurtres, tortures, viols et soumissions ! De ce fait, une nouvelle réalité se créerait par le biais de notre téléviseur apte à diffuser Vidéodrome pour transformer à jamais notre état d'esprit, notre perception de la réalité étant modifiée indéfiniment dans une nouvelle chair escomptée ! Les hallucinations pratiquées sur l'esprit avili sont si réelles et impénétrables que le héros (et le spectateur) ne sait plus distinguer la réalité de l'abstraction ! Tout en sachant que le but du programme Vidéodrome est de rendre notre nouvelle réalité encore plus réelle que ce que l'oeil humain est capable de percevoir actuellement, dans notre vie quotidienne !
Le fascinant James Woods qui incarne le cobaye humain d'une expérience incongrue et révolutionnaire se révèle adéquat dans la peau du directeur de films indépendants transgressif à la recherche du programme le plus alléchant et violent qui soit pour contenter une population avide de sensations toujours plus sensorielles mais aussi addictives !
La célèbre et aguicheuse chanteuse des années 80, Deborah Harry surprend, séduit de manière indocile et ajoute une aura supplémentaire dans l'ambiance maladive environnante qui imprègne tout le film face à sa personnalité vouée au sado-masochisme et à la perversité malsaine. Il faut la voir se bruler volontairement la peau avec la cendre rougie d'une cigarette écrasée sur son sein ! Son regard trouble, charnel, ambigue et son attitude sensuelle en quête d'une jouissance sadienne déroute le spectateur face à la beauté fustigée une jeune femme sulfureuse apte à fantasmer et pratiquer ses désirs les plus interdits. Mais à quel prix !
Avec un scénario atypique aussi passionnant et terriblement inquiétant pour l'avenir de notre "télé-réalité" déformée à la guise des investigateurs, David Cronenberg utilise, pour nous manipuler de manière viscérale et prégnante, un maelström d'images terrifiantes, malsaines autant que fascinantes et inoubliables, à l'impact dévastateur. Comme la tête de Max enfouie dans les lèvres volumineuses de Nicki s'extirpant de l'écran rendu vivant du téléviseur ou les coups de fouet assénés par notre héros sur un autre écran cathodique diffusant une scène de torture d'une femme comateuse enchainée, plaignant sa douleur. Mais aussi le révolver que celui-ci s'infiltre et s'extirpe de l'estomac entrouvert par un orifice ressemblant à un vagin sexuel ! Livraison d'origie face à l'éclatement d'un téléviseur libérant des organes humains frais et ensanglantés ! Et enfin la mission locale où des sans-abris amorphes, tributaires d'écran de télévision s'y réfugient en continuant de contempler leurs émissions en guise d'épanouissement ! Terrifiant !
Pour cet amoncellement de séquences chocs cinglantes, les effets-spéciaux époustouflants de Rick Barker et Michael Lennick nous clouent sur notre fauteuil par leur effets visuels bluffants d'une inventivité insensée (en dehors d'un effet cheap grossier quand le revolver se déploie pour libérer des vis métalliques et s'insinuer dans la chair de la main de Max).
LA NOUVELLE CHAIR.
David Cronenberg, visionnaire, livre une réflexion passionnante sur le pouvoir de l'image, sur la réalité altérée au travers de la fiction tendancieuse, sur le traitement de la violence à l'écran et notre rapport intime avec nos instincts pervers nuisibles.
Lourdement ébranlé par l'incessant score musical dérangeant et bourdonnant de Howard shore, Vidéodrome est un chef-d'oeuvre avant-gardiste d'une rare intelligence et d'une lucidité terrifiante dans son constat alarmant sur les effets dévastateurs et manipulatoires des médias. Une hiérarchie davantage perfide, épris de popularité par appât du gain afin de s'approprier sans moralité les masses populaires endoctrinées et lobotomisées via leur tube cathodique.
Une expérience licencieuse éprouvante, terrifiante, somatique, inaltérable et indispensable, au risque d'altérer votre psyché potentiellement compromis dans la nouvelle chair !
