Vu deux fois déjà
ma critique:
http://tortillafilms.tortillapolis.org/splice.html
Suite à un très beau générique, les premières images sont projetées sur l'écran: teintes bleutées, objectif fish-eye qui déforme l'image, on comprend que le tout est filmé en vue subjectif d'un ftus, c'est beau, ça met un peu mal à l'aise, c'est efficace. Cette entrée en matière sublime me donne la certitude que je vais assister à quelque chose de grand. Les premières images n'ont pas menti: la suite est du même niveau, et c'est tout retourné que je sors de la salle à la fin de la séance.
Natali a ruminé son histoire depuis plus de dix ans maintenant, il a donc eu le temps de développer tout cela. De l'aveu même de son réalisateur, Splice est né dans son esprit le jour où il a vu une image de la souris de Vacanti (cette image désormais très célèbre d'une souris avec une oreille humaine lui poussant sur le dos, expérience médicale qui consiste à développer des cultures cellulaires sur une souris, afin de reconstituer des organes). Mais associé à cette image dérangeante, il y a l'amour manifeste et immodéré pour le cinéma de genre de Vincenzo Natali.
Inévitablement, Splice est un film de fanboy. C'est d'ailleurs Guillermo del Toro qui produit le film, et l'on sait l'amour du réalisateur mexicain pour les films de genre. Mais en cette époque où le cinéma de fanboy constitue généralement en l'amoncellement désordonné de références à pleins de films très connus qu'ils ont adorés, Vincenzo Natali au contraire s'efforce à chaque instant d'orienter son histoire vers des situations inattendues, nouvelles et surprenantes, tout en conservant à l'esprit le fil directeur de son intrigue.
C'est dans ce renouvellement constant que réside la principale qualité du film. Natali ayant eu l'intelligence d'emprunter non pas des situations ou des gimmicks à ses ainés, mais bel et bien des procédés de mise en scène qui ont prouvé leur efficacité. Et si Splice évoque Alien et The Thing ce n'est pas par des clins d'il mal placés mais par une progression dramatique similaire notamment dans le dévoilement progressif du monstre. Et avec sa créature totalement nouvelle et mutante, Natali nous offre le même frisson que lors de la sortie du film de Ridley Scott : personne ne savait quelle serait la prochaine transformation de la créature. Bon, ceci est actuellement un peu gâché par cette nouvelle mode qui consiste à communiquer en montrant tout dans les affiches et les photos d'exploitation du film ; c'est pourquoi je vous enjoint à faire comme moi et à aller voir le film assez vierge d'informations sur la créature. Du reste je pense que malgré tout l'efficacité sans faille de la construction du film surprendra même les plus informés.
La créature semble avoir une intelligence très développée mais également très enfantine, et ses réactions se font avec la même démesure qu'un enfant. Il en résulte alors un comportement souvent incompréhensible pour les adultes, et donc plutôt terrifiant ! Il est en effet impossible de deviner vers quelle prochaine scène nous emmène Natali. Et cela faisait longtemps que je n'avais plus été confronté à cette sensation au cinéma, les films au scénario balisé, voire sans réel suspense devenant légions. A la vision de Splice c'est un délicieux sentiment d'incertitude totale qui s'empare de nous. Natali alternant avec malice les scènes très calmes et belles avec d'autres qui sont à vous glacer le sang !
La force du film étant non seulement d'alterner ces deux types de scènes, mais également de les mixer, avec une grande subtilité. Les sentiments du spectateur sont amenés à osciller constamment entre une grande tendresse pour la créature et une peur absolue de ce qu'elle va faire. Cette dualité dans les sentiments qu'inspire la créature est tout particulièrement bien rendu dans son apparence physique. Le design de la créature, qui pourtant ne paye pas de mine face à d'autres bestioles bien plus cinégéniques (l'alien de Giger notamment), est en réalité d'une subtilité et d'une efficacité sans limites : son aspect humanoïde garantissant une facilité à la prendre en affection, tandis que les quelques malformations apportées à sa silhouette (la forme du crâne, les pattes, l'absence de cheveux et les yeux un peu trop écartés surtout) parviennent à instaurer un malaise persistant qui devient vraiment puissant dans certaines scènes clés, où il devient absolument terrifiant de fixer le regard insondable de la créature (notamment lors de cette scène horrible ou la créature, encore enfant, est au fond d'une baignoire, les remous de l'eau déformant la silhouette et accentuent encore la peur que son regard provoque).
Les effets spéciaux sont très soignés, ce qui ne gâche rien : la créature possède une vraie présence physique à l'écran, malgré les images virtuelles. Cette réussite est due je pense d'une part au design de la bestiole, tellement réussi qu'il ferait oublier n'importe qu'elle imperfection dans les effets spéciaux, d'autre part à l'excellence de l'interprétation de cette créature par l'actrice Delphine Chanéac, et enfin à la réussite en elle même des images de synthèse qui sont très soignées et ne paraissent jamais artificielles, malgré le relativement petit budget dont à bénéficié le film.
Le film développe une thématique très riche, qui se nourrit de tous ces éléments surprenants dont regorge le film. Cela peut d'ailleurs paraître un peu frustrant, tant le film évoque à chaque fois une nouvelle dimension qui pourrait à elle seule constituer un nouveau film ou au moins un nouvel arc narratif, qui est immanquablement abandonné aussitôt pour rebondir sur un autre élément surprenant. Mais cela permet au film de ne jamais s'essouffler tout en ajoutant plus de matière à la trame principale. Loin d'être un défaut, cette frustration crée excite l'imagination du spectateur et permet au film de garder intact tout son potentiel.
Et c'est bien là la marque des grands films. Car Splice est assurément un grand film. La mise en scène précise et sublime du film, son pouvoir d'évocation incroyablement fort et surtout les émotions contradictoires qu'il fait naître chez le spectateur en sont la preuve. Il n'aura sans doute pas la portée immédiate d'un Saw tant le film est difficile d'accès de part sa richesse thématique et du véritable malaise assez indéfinissable qu'il crée. Splice est de ces films dont on ressort avec un sale goût dans la bouche. Mais ses qualités sont telles que le film survivra à son époque et je prends les paris que d'ici une dizaine d'années le titre du film sera évoqué aux cotés d'autres aussi prestigieux que L'Exorciste ou The Thing.
Enfin, pour toutes les raisons que je viens de citer, je tiens à saluer le courage du distributeur qui sort ce film au cinéma en France. Il s'agit d'un film exigeant qui ose sortir des sentier battus et emporter les spectateurs dans des endroits où ils ne voudraient pas êtres, mais je ne peux que vous exhorter à aller voir ce film au cinéma (c'est le printemps du cinéma en plus!), pour vous faire votre propre avis, pour soutenir ce genre de productions, mais surtout parce que c'est un film qui change un peu de la soupe qu'on nous sert habituellement.
allez le voir!
