par BRUNO MATEI » 04 Janvier 2011, 15:54
Pardon de contredire mais on ne voit jamais les yeux du bébé en flash rapide.
Seule une image subliminale évoquant un démon aux yeux rouges apparait une demi seconde, après la découverte du landeau.
La petite histoire:
Adapté du roman éponyme d'Ira Levin, paru en 1967, c'est William Castle qui achète les droits du livre pour avoir l'ambition de le réaliser lui-même. Mais la paramount ne l'entend pas de cette oreille à cause de sa réputation d'aimable faiseur de frissons ludiques du samedi soir.
La société lui somme alors de produire le film et de trouver un réalisateur plus chevronné pour le mettre en scène.
Leur choix se tourne vers Roman Polanski qui accepte la proposition à la seule condition que le scénario reste le plus fidèle possible au roman de Levin.
A Manhattan, un jeune couple sur le point d'envisager la naissance de leur futur bébé emménage dans un immeuble abritant des vieillards radoteurs embourgeoisés. Bientôt, deux de leur voisin ne vont pas tarder à se manifester et s'immiscer dans la vie des deux amants de manière impertinente et inquiétante. Alors qu'un suicide vient d'avoir lieu dans la tour de l'immeuble.
Enorme succès à sa sortie un peu partout dans le monde, Rosemary's Baby se révèle la quintessence du fantastique contemporain, véritable précurseur des films mêlant démonologie, sorcellerie et satanisme auquel les notoires l'Exorciste, La Malédiction et Suspiria en seront les dignes successeurs.
L'EMPRISE PARANOIAQUE.
Introspection finement élucidée d'une jeune femme avide de maternité qui va lentement sombrer dans la paranoïa (et peut-être la folie), Rosemary's Baby est un modèle de suggestion qui tente de nous faire croire et/ou douter de la véracité des évènements ancrés dans la sorcellerie. Juste avant que n'interviennent les cinq dernières minutes révélatrices, véritable sommet d'effroi d'un épouvantable nihilisme pour nous hanter longtemps les souvenirs ambivalents après le générique de fin.
La force implacable du pouvoir de suggestion consolidé dans une narration subtile se voue entièrement au profil psychologique de son interprète principal, Rosemary, campée par la frivole et gracile Mia Farrow, particulièrement affectante dans un rôle en demi-teinte. De prime abord, Jeune fille attendrie et épanouie, éprise d'amour relatif avec son amant complice pour peu à peu perdre pied et sombrer dans une acuité paranoïaque si exacerbée dans son dernier acte qu'elle semble effleurer les cimes de la folie aliénante.
Dans un scénario méthodiquement maitrisé, soigneusement structuré, Roman Polanski va tenter de nous troubler, de jouer avec nos nerfs et nos émotions, notre raisonnement rationnel étant soumis aux tourments ancrés dans la quotidienneté d'un cocon familial pour son héroïne principale. Durant 2H15, nous sommes véritablement dans les conflits intérieurs de cette jeune femme davantage tourmentée, angoissée, pour être finalement terrorisée de son environnement suspicieux, potentiellement souscrit aux forces du Mal. Avec un souci de réalisme humaniste aux évènement infligés, nous suivons son cheminement de manière si complice, davantage empathique que l'on s'identifie irrémédiablement en ses émotions, ses ressentiments personnels de ses moindres faits et gestes ainsi que son psyché indubitablement perturbé.
Sans aucun effet grand guignolesque et encore moins une touche de gore, la narration entière est allouée en fonction du pouvoir suggestif. C'est par une multitude de détails et d'évènement troublants que la trame s'emboite logiquement pour nous piéger au moment opportun dans une conclusion abrupte, totalement cauchemardesque, voire apocalyptique.
C'est d'abord les voisins accueillants, un couple de retraités expansifs qui vont peu à peu interpeller et incommoder l'intimité perturbée de leurs nouveaux locataires juvéniles par leur (omni)présence bienveillante. Il y a cette fugace générosité gênante à octroyer de leur bon gré quelques cadeaux de bienvenu envers la future jeune maman comme l'offrande du fameux pendentif à l'odeur nauséabonde d'une racine de tanis. Ou ce désert concocté d'une mousse au chocolat artisanale à l'arrière gout de calcaire puis enfin une décoction d'herbes fraiches infusées dans du lait afin de revigorer une Rosemary affaiblie, blême et amaigrie.
Des offrandes un peu trop variées et récurrentes qui vont au fur et à mesure déconcerter puis désorienter la jeune femme davantage dubitative de la sincérité de ces voisins, jusqu'à celle de son mari facilement influent par le couple âgé.
Il y a aussi les rêves équivoques vécus de manière presque fantasmée qu'elle semble subir de manière attractive durant ses quelques nuits nocturnes incommodées.
Ces séquences irréelles mises en exergue dans une atmosphère trouble sous-jacente sont réalisées avec une virtuosité consciencieuse pour tenter de matérialiser ces songes cauchemardesques déstructurés, confondus dans l'esprit perturbé de notre héroïne. Des sombres morceaux d'images altérées, cotonneuses, diffuses et dérangeantes comme la présence d'un capitaine inquiétant à bord d'un voilier maritime, ou celle plus terrifiante, du viol de Rosemary sur la froideur d'une table noire, offusqué par son propre mari devant une assemblée de personnes âgés décrépies, dénuées de tous vêtements !
Tandis qu'au retour de la réalité, une multitude d'accidents soudains et meurtriers vont intervenir en intermittence ! Un suicide par défenestration en guise d'introduction, un acteur atteint de cécité (ce qui favorisera à Guy, le mari de Rosemary de pouvoir accéder à son poste convoité de comédien pour sa profession théâtrale) et enfin un ami proche de sa femme qui décédera mystérieusement à la suite d'un coma inexpliqué.
Il y a aussi cet évènement primordial quand Guy va profiter de l'étourdissement inopiné de sa femme, inexplicablement transie, pour lui faire l'amour dans le lit conjugal sans son consentement et la rendre enceinte.
Mais c'est à partir du moment où Rosemary va recevoir par courrier un ouvrage sur la sorcellerie hérité par le décès soudain de son ami que l'angoisse et le climat oppressant va largement s'immiscer pour prendre une ampleur considérable sur son état moral, physiquement fragilisé (douleurs abdominales, maux de crane, perte de poids) par l'avènement de sa futur naissance avec cette crainte envahissante que ses proches pernicieux veuillent lui soustraire son bambin.
Dès lors, après avoir lu des passages troublants et éloquents du livre, Rosemary va sombrer dans une paranoïa addictive et suspecter chaque membre familier de l'immeuble. Y compris son docteur patibulaire qui possède le même médaillon de tanis protégé autour du cou et son mari davantage fébrile, facilement sournois de l'état psychologique dénigré de sa dulcinée.
La douce et enjôleuse Mia Farrow incarne le rôle frivole de Rosemary dans une prestance innée à retranscrire avec une justesse pleine de candeur sa détresse, son désarroi et son impuissance à vouloir s'opposer coûte que coûte envers son entourage potentiellement perfide et pernicieux contre la vie de son futur rejeton.
L'inquiétante et magnétique Ruth Gordon, dans celle de la matriarche âgée est totalement prégnante dans sa demi-mesure autant axée sur la bienveillance et la générosité qu'une potentielle indocilité selon la crédibilité convaincue de Rosemary.
JUSQU'AU BOUT DU DESIR.
Débutant et clôturant son film par une musique lancinante, troublement obsédante et envoutante, chantonnée avec mélancolie par Mia farrow, Rosemary's Baby est de prime abord un drame psychologique déroutant et hypnotisant au service du cinéma d'épouvante, par le biais d'une mise en scène finaude d'une exceptionnelle pertinence. Ou l'art subtil de faire croire au spectateur perplexe, et cela jusqu'aux dernières minutes éprouvées, si tout le récit n'était que pure invention d'un esprit obsédé et dérangé par la naissance de sa progéniture ou véritable cauchemar satanique annonciateur de l'apocalypse !!!
Son pouvoir de fascination atypique et sa force de suggestion singulière accèdent ce chef-d'oeuvre absolu comme l'un des plus grands films d'épouvante de tous les temps.
Alors que l'apothéose de son final terrifiant, anthologique et perturbant, sera si persuasif dans sa révélation insensée que certains spectateurs croiront dur comme fer avoir entraperçu le bébé de Rosemary !
Roman Polanski n'aura jamais fait mieux depuis 1968, année charnière d'un second traumatisme octroyé à La Nuit des morts-vivants chez Georges A. Romero. !
