L'HISTOIRE
Un jeune zombie prénommé Otto erre sur une route isolée, sans savoir ce qu'il fait là, d'où il vient, ni où il va. Il y a quelque chose d'étrange avec Otto. Il semble être sans-abri, se réfugie dans un parc d'attractions abandonné et ne dort jamais. Il a aussi un trouble de l'alimentation : il a une aversion pour la consommation de chair humaine. C'est un zombie avec une crise d'identité. Après avoir fait du stop jusqu'à Berlin, il rencontre une cinéaste underground, Medea Yarn, qui décide de réaliser un documentaire sur lui. Parallèlement à ce projet, Medea tente de terminer un long-métrage intitulé Up with Dead People, film zombie épique, politique et porno sur lequel elle travaille depuis des années. Elle convainc la star du film, Fritz Fritze, d'héberger chez lui le fragile Otto. Lorsque Otto découvre dans sa poche un portefeuille contenant des informations sur son passé d'avant sa mort, des souvenirs de sa vie commencent à remonter à la surface...
LA CRITIQUE
Explicites et parfois lyriques, les films de Bruce LaBruce sont issus du «Cinéma de la Transgression» dont les parents sont Richard Kern, Nick Zedd, Lydia Lunch... Canadien d'origine, Bruce LaBruce évolue dans un univers totalement barré où une certaine critique sociale est toujours prétexte à traiter de tabous pour le moins dérangeants. Ce bad boy qui n'a pas peur de choquer la populace (rappelez-vous de "HUSTLER WHITE" (excellent film au passage) où Tony Ward incarne un prostitué tordu), témoigne à chaque essai d'un univers totalement atypique avec toujours ce même leitmotiv de surprendre le spectateur tout en le confrontant à la réalité.
Avec "OTTO; OR, UP WITH DEAD PEOPLE". LaBruce fait mine d'emprunter les codes fantastiques du film de zombie pour les désamorcer à travers la quête identitaire d'un jeune adolescent paumé. Pour ainsi dire, il procède un peu à la manière d'Andrew Parkinson avec son "MOI, ZOMBIE : CHRONIQUE DE LA DOULEUR": montrer ce que l'on ne montre jamais dans les films de zombie. Mêlant la subversion à la pornographie esthétique, LaBruce conte le retour sur terre d'un jeune adolescent, Otto, mort il y'a peut être plus de trois ans de façon mystérieuse. Ce jeune mort vivant, au fil de ses rencontres hasardeuses, est propulsé star d'un film de zombies gays révolutionnaires par une cinéaste lesbienne (clin d'il au précédent film de LaBruce, "SUPER 8 ½" ) et meneuse d'un groupe d'activistes homos. Ce qui par ironie lui permettra de comprendre ce qui lui est arrivé de son vivant.
LaBruce démystifie avec "OTTO; OR, UP WITH DEAD PEOPLE" l'apanage de notre société matérialiste et consumériste. Faits qu'on ne pourra pas remettre en question. Otto erre malgré lui, ne comprend pas le monde qui l'entoure. Otto est un zombie qui parle. D'ailleurs, le cinéaste ne manque pas de faire intervenir son personnage par son subconscient. Bien que complexe dans sa structure, "OTTO; OR, UP WITH DEAD PEOPLE" est une uvre expérimentale non déplaisante puisque le cinéaste amène des réflexions philosophiques bienvenues sur l'aspect et le rôle du « zombie » dans le récit. Pourquoi ressuscite-t-il ? Pourquoi l'homme n'est il qu'un pamphlet égoïste et superficiel en voulant tout s'octroyer, et pourquoi aux yeux des autres, certains individus semblent s'effacer d'une société devenant de plus en plus restrictive ?
Souvent le zombie putride ou les contaminés modernes (ceux qui courent comme dans "28 JOURS PLUS TARD") n'ont pas le privilège d'ancrer le personnage à la réalité. Le zombie est souvent caricaturé sur de grandes lignes, il reste une créature sanguinaire à cerveau lent qui ne vit que par les entrailles, la cervelle et la chair des humains. Certains grands maîtres comme Romero, ont pourtant dénoncé en l'heure temps la société (racisme, politique et consommation) avec ce même personnage, même s'il est vrai "DIARY OF THE DEAD" signe un retour toutefois mollasson du maître avec sa critique des réseaux de communication moderne.
Le zombie est un phénomène de société. Otto pointe du doigt la consommation et le matérialisme de l'homme. Otto, lui, ne prend aucun goût à manger la viande. Chair qui est mise en avant de façon outrancière dans certains passages. La chair est aussi une manière dans le film de démontrer que l'homme reste pour d'autres une proie sexuelle, une quête, un sentiment de possession et d'exploitation. Privilégiant celle encore non consommée et/ou vulnérable. D'ailleurs, quand la réalisatrice accompagne Otto dans un abattoir, elle s'esclaffle d'une phrase qui en dit long "tout est viande, tu es viande, je suis viande, le monde est viande, tu dois penser viande". Le vice est donc là. LaBruce frappe du point sur un sujet qui souvent, est oublié. Un reflet qui permet au simple zombie de basculer du côté de l'agneau puéril face à un homme devenu carnacier et matérialiste. LaBruce conte le tout dans la débauche et une dépravation sanguinolente.
C'est avec brio et intérêt qu'on poursuit cette descente pessimiste vers une réalité brutale et écurante où ce jeune perdu dans cette meute assassine assiste impuissant à cette surconsommation de bareback. Le virus n'étant pas très loin. C'est donc en véritable fléau (on en revient à l'infection des zombies) que se connote la maladie dans le film de LaBruce. Souhaite-t-il mettre en avant qu'encore beaucoup trop d'homosexuels jouent au jeu dangereux du « no capote ». Pour pousser le clou encore plus loin, le cinéaste est allé jusqu'à tourner une séquence dans un cimetière où sont enterrés des homosexuels morts du sida dans les années 80. Une fois zombie (contaminé), certaines personnes sont mises à l'écart, rejetées, bannies et même brûlées. Parce que le mal est en elles. Parce que différents dans cette société capitaliste. Autant de points sur lequel LaBruce tente d'intervenir.
Un mal être constant qui confronte ainsi le spectateur à de multiples réflexions sur la mode du « bareback », l'homophobie et le racisme toujours aussi présents.
Côté casting, c'est avec beaucoup de plaisir qu'on découvre d'illustres inconnus qui jouent forts biens. Bruce LaBruce a créé des personnages hauts en couleur. Le jeune Bruxellois Jey Crisfar tient le rôle d'Otto. Katharina Klewinghaus joue Médea, cinéaste délurée et lesbienne. Sa compagne Hela (Susanne Sachsse) est involontairement hilarante, venue d'un autre temps (une caricature de Louise Brooks incrustée dans la fiction, en noir et blanc, et muette comme à l'époque), elle gît là paumée, avec Otto, et observe le mal environnant.
La musique a quand à elle un degré important dans l'histoire, on passera bien évidemment sur certaines chansons à succès et d'autres dénonçant une immoralité, le dégoût et la discrimination. Les maquillages renforcent les effets de malaises constants que soumet le réalisateur à ses spectateurs. Toujours plus gores, toujours plus crus (pénétration dans les entrailles d'un homme fraîchement mort), toujours plus outranciers, les effets, tous beaux, viennent se fusionner lors d'une scène de partouze entre mecs zombifiés (pour les besoins de la fiction tournée à l'intérieur du film en lui-même) où chairs, muscles, viandes animales, et sang se mélangent dans une photographie noir et blanc qui virevolte vers la couleur argenté.
A ce sujet, le film a une beauté plastique indéniable. C'est une uvre d'art. Comme sur les précédentes fictions du réalisateur, chaque plan est remarquablement travaillé et soigné. LaBruce conte son film comme un assemblement de peintures, une quête de la perfection, de l'irréprochable qui renvoie au matérialisme. Le Spectateur est ainsi le sujet aux expériences acides du réalisateur. Cobaye impuissant qui au final en ressort troublé et perplexe devant cette fiction qu'on peut apprêter d'ovni pour qu'un peu on n'est pas été préparé. Jouissant toutefois de pouvoir remettre en question le spectateur face au récit et aux faits traités.
"OTTO; OR, UP WITH DEAD PEOPLE" est un film fantastique experimental. Vous êtes prévenus. "OTTO" est un film extrêmement salvateur et complexe qui fera sans doute l'objet de vives critiques enthousiastes pour qu'un peu on entre dans le film. Si un jour vous souhaitez démarrer la vision des uvres de LaBruce, commencez par ce dernier. C'est probablement l'uvre la moins extrême dans sa filmographie.
Note de Cosmocats : 8 sur 10
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