Première réalisation et premier coup d'éclat pour un nouveau jeune réalisateur passionné par le genre horrifique dans sa généralité, "May" n'aura laissé personne indifférent lors de sa discrète sortie en salles, du moins pour les vrais amateurs de découvertes au parfum de séduction venimeux dû en priorité à l'interprétation innée d'Angela Bettis interprétant le rôle fébrile d'un bout de femme écorchée, violemment rejetée, mis à écart par son entourage formaté, conventionné dans l'apparence physique plutôt que de tenter de s'attarder sur le caractère humain des rencontres des autres.
"May" est une jeune infirmière exerçant pour le compte d'un cabinet vétérinaire. Timide, refoulée et réservée dès sa plus tendre enfance à cause d'un léger strabisme et d'une mère antipathique un peu trop fière et orgueilleuse, "May" n'a pour seule compagnie affective qu'une simple poupée de cire sous emprise, baroque et rigide, le regard vide et glacé, embrigadée dans une boite de verre à qui elle se livrera de façon journalière ses émotions, ses états-d'âme, ses désirs, ses envies mais aussi ses colères et ses prises de haine.
L'envie de partager son enthousiasme soudain comme par exemple celui de vouloir rencontrer le prince charmant comme on peut l'imaginer dans les livres de contes de fée ou celui de s'intéresser à de jeunes enfants aveugles handicapés par la visualité de pouvoir l'observer. Mais l'égoisme d'une société primaire qui mise tout sur la forme et l'enveloppe physique plutôt que le fond de l'âme et de son contenu va conduire "May" à se livrer malgré elle à une descente aux enfers irréversible dans la perte identitaire, dans son refoulement à extérioriser, sa névrose à exacerber son inépuisable envie d'aimer et d'être aimer par le sang des égoistes à travers le crime frauduleux.
Lucky Mc Kee nous livre avec sensibilité et subtilité une mise en scène virtuose particulièrement inventive, maitrisée, charnelle dans ce portrait poignant, douloureux, intense d'une jeune femme livrée à elle même dans sa fragilité esseulée, son apparente excentricité qui fait que dans ce monde superficiel tout ce qui diffère dérange la supposée normalité.
Le rejet d'un homme séduit mais effrayé par cette anormalité soudaine et dérangée puis la chute accidentelle d'une boite en verre renfermant sa meilleure amie inerte déclencheront la révolte meurtrière de "May" plongée dans une profonde douleur intérieure et physique jusqu'à s'en crever un oeil de l'intérieur pour l'offrir à sa muse aveugle. Car fermement décidée à se créer par elle-même son propre ami de coeur en compilant des bouts de cadavres unis un à un, divers membres variés entrelacés pour les recoller ensuite puis former un pantin de chair morte comparable au monstre de Frankenstein.
L'atypique Angella Bettis crève l'écran dans le rôle de "May". Elle se révèle sidérante de vérité retranscrite, d'émotion cristalline dans sa composition schyzophrène et sensorielle. Un rôle tout en demi-teinte car de prime abord pétillante de timidité amoureuse, de séduction malicieuse dans l'aspect filiforme de ce petit corps aussi mince que frivole, pour ensuite adopter un ton plus obscur, une tenue plus ferme et méthodique, acte méticuleux d'épouvante meurtrière particulièrement habile dans l'art et la manière de tuer de manière chirurgicale et sensuelle sa prochaine victime prise en estocade. Un rôle complètement habité où l'on imagine mal quelle autre comédienne aurait pû s'y mesurer.
Tout en étant un hommage affectueux et sincère au cinéma d'horreur classique et contemporain (James Whales et Dario Argento pour les citer prioritairement), réalisé avec brio et tempérament, "May" est une perle noire d'une beauté macabre singulière, une touchante et poignante histoire d'une femme écrasée par le poids de la formalité autoritaire, conventionnelle et conformiste. Le destin profondément tragique d'une poupée de chair consumée et vidée de toute substance morale dont l'unique but n'était que l'épanouissement dans les mains d'un possible rédempteur mais dont l'issue nuisible ne s'épousera que dans le sang et les larmes.