par BRUNO MATEI » 05 Mai 2012, 06:24
En 1960, alors que les succès de la Hammer sont à leur apogée (2 ans au préalable sortait sur les écrans Le Cauchemar de Dracula), un directeur de la photographie s'entreprend à concurrencer la célèbre firme anglaise avec un long-métrage réalisé en noir et blanc, tiré d'un conte russe de Nicolas Gogol (Vij). Le masque du Démon est également l'occasion de révéler au grand public une jeune débutante du nom de Barbara Steele. 50 ans plus tard, ce chef-d'oeuvre du gothique transalpin reste le plus beau film en noir et blanc jamais photographié !
Au 17è siècle, alors qu'une sorcière et son amant sont condamnés au bûcher, celle-ci jure de se venger auprès des responsables de son exécution.
Deux siècles plus tard, par la faute d'un médecin et de son assistant, nos revenants s'exhument de leur tombe pour importuner les héritiers de la famille Vadja.
Dans une atmosphère typiquement latine par son goût prononcé pour la sensualité macabro-morbide, Le Masque du Démon est la quintessence du cinéma d'épouvante monochrome. Un génie de la photographie réalise pour la première fois de sa carrière un long-métrage d'épouvante inspiré d'un conte russe. Dans un florilège d'images flamboyantes alternant l'esthétisme charnel et le baroque ténébreux, Le Masque du Démon s'illustre de la même manière que l'on feuillette un superbe livret d'images fastes un soir de lune hivernale.
Dès la séquence d'ouverture, le ton est donné ! Durant une nuit automnale chargée de brume où les arbrisseaux faméliques ont entièrement été dénudés de verdure, une légion de bourreaux encapuchonnés préparent leur rituel pour supplicier deux amants accusé de vampirisme. Attachés contre un pylône, leur visage sera transpercé par un masque de bronze orné de pointes acérés. L'ambiance macabro-onirique qui émane de l'atmosphère crépusculaire et le soin du cadrage accordé à ces images picturales relèvent de l'art gothique le plus formel !
La suite n'est qu'un florilège d'imagerie dantesque conçue pour entraîner le spectateur dans un cauchemar lacté chargé de références au mythe vampirique. Chaque péripétie encourue par nos protagonistes semble avoir été façonnée pour nous garder en mémoire de saisissantes plages d'onirisme mortuaire. Que ce soit la découverte de la chapelle décharnée par deux visiteurs égarés, la première apparition de Katia accompagnée de deux dobermans ténus, la promenade à travers bois d'une fillette intimidée par le bruit des feuillages ou encore la résurrection de la sorcière dans une crypte archaïque. Tout n'est ici qu'effervescence, splendeur et raffinement dans l'horreur séculaire.
Après cette ébauche rutilante et après l'exhumation des amants d'outre-tombe, la narration simpliste mais redoutablement efficiente se focalise surtout à un chassé croisé entre les morts et les vivants réfugiés dans un château rempli de trappes et cachettes secrètes. Un à un, les membres de la famille Vadja vont être persécutés ou possédés par l'esprit maléfique d'Asa et Igor. Tandis que l'assistant du Dr Kruvajan, secrètement amoureux de Katia (sosie d'Asa), va tout mettre en oeuvre pour tenter de la sauver.
Impossible d'évoquer un mot sur la prestance magnétique de l'égérie de l'horreur vintage, Barbara Steele ! D'une beauté ténébreuse voluptueuse dans sa physionomie sensuelle, accentuée par un regard noir aux yeux immenses, la reine démoniaque crève l'écran et immortalise de sa prestance innée une sorcière inimitable. Mais Barbara Steele se paye également le luxe de nous envoûter d'une manière plus docile et suave en endossant le second rôle de la princesse Katia, victime asservie par sa propre descendance ! Divine et opaque à en mourir !
Parfois audacieux dans certains effets chocs graphiques, Mario Bava n'hésite pas provoquer et transgresser une horreur liquéfiée toujours teintée de poésie morbide. Comme ce cadavre découvert au bord de la rivière, le visage putréfié d'Igor s'exhumant de sa tombe, la lente résurrection corporelle d'Asa où des insectes s'extraient de ses orbites, le crapaud sautillant dans la boue ou encore l'immolation du prince Vajda. Il y a également un trucage fort adroit à souligner quand Katia se retrouve possédée par le corps d'Asa, son visage enlaidi se mettant furtivement à vieillir, sans effet technique de coupe. Un procédé ingénieux fondé sur un jeu de lumières colorées (déjà expérimenté sur Dr Jekyll et Mr Hyde de Rouben Mamoulian), uniquement réalisable dans une photographie en noir et blanc !
Les Amants d'outre-tombe
Sans jamais imiter ses illustres modèles de la célèbre firme anglaise, Mario Bava nous livre ici sa touche personnelle du mythe vampirique dans un esthétisme singulier restant à ce jour inégalé. D'une beauté funèbre immuable et ensorcelante, Le Masque du Démon ne ressemble finalement à rien de connu. Il reste une oeuvre personnelle d'un cinéaste expérimental, n'hésitant par à tourner son film en mode obsolète du noir et blanc, alors que la Hammer Film faisait resplendir ses oeuvres maîtresses par sa flamboyance polychrome !
