Petit up! Je vous propose une mini-bio que j'avais écrite sur le maestro pour un forum il y a environ six mois... le texte est agrémenté de photos dont une grande partie sont tirées de Devildead. Enjoy!
Souvent adulé ou à l'inverse détesté, Lucio Fulci porte sur lui l'étiquette d'un réalisateur tantôt génial, tantôt passable, tantôt médiocre. Perpétuellement tiraillé par le public entre l'école des auteurs majeurs du cinéma d'épouvante de son pays (Mario Bava, Dario Argento, Michele Soavi) et celle des tâcherons ou artisans allant du correct au pis (Joe D'Amato, Ruggero Deodato, Umberto Lenzi, Bruno Mattei), le statut de Fulci ne risque guère de trouver une base sûre dans les années à venir, même s'il est bon de reconnaître que le cinéaste n'a jamais bénéficié d'une reconnaissance aussi importante qu'aujourd'hui même, ou disons plutôt, depuis une petite décennie. Aux États-Unis ou en France plus particulièrement, l'uvre de Lucio Fulci et parfois même la personnalité du monsieur en elle-même font pour une bonne poignée d'aficionados l'objet d'un culte impressionnant s'il en est. D'une vénération sans pareil que l'on voue à certains de ses films, l'on passe à une multitude d'éditions et de rééditions de ces derniers sous support DVD, et ce dans des conditions techniques la plupart du temps prestigieuses - pour la petite anecdote, dans l'hexagone, il y a davantage de DVDs de Fulci que de Stanley Kubrick sur le marché -, puis, comble de tout, à la production de certaines babioles à l'effigie du réalisateur (autocollants, vêtements, figurines). Généralement sous-estimé de son vivant, Fulci a acquis au cours de ces dernières années l'auréole dun petit mythe du cinéma de genre, quoiqu'il continue à diviser son public. Si beaucoup décèlent en son cinéma une ampleur plastique et atmosphérique unique parmi les millions, d'autres n'en retiennent que les maladresses et les limites inhérentes aux écueils généraux du film d'exploitation (ou dit « bis », dans le jargon). Il y a du reste la catégorie des fans de
gore or nothing qui chérissent Fulci, à tort sans doute, car la violence graphique ne résume de loin pas le seul intérêt suscité par ses films. En effet, qu'il soit techniquement parlant au top ou au pire de sa forme, le cinéaste signe des uvres empreintes d'onirisme et de morbidité face auxquelles, amateur ou détracteur, l'on a du mal à rester indifférent. Là réside la clé du véritable talent de Fulci et non pas dans les scènes de boucherie que l'on tend habituellement à survaloriser à l'aune du reste. Certes, au même titre que Peter Jackson et George A. Romero par exemple, Fulci peut se voir décerner la couronne de pape de l'esthétique du gore, dans la mesure où il ne fait guère qu'exceller dans ce domaine au détriment des autres caractéristiques d'un métrage (Olaf Ittenbach, Andreas Schnaas, Hideshi Hino), il métamorphose le matériau de l'atroce au septième art en un formidable facteur de poésie macabre, tout comme Jackson l'utilise à des fins comiques. Chez Fulci, le gore n'a pas uniquement un but spectaculaire ou choquant, il est également inséré dans un contexte esthétique et même artistique, ce qui le rend diablement intéressant, tout désamorcé par des trucages approximatifs dus à des lacunes de moyens qu'il soit quelquefois. Mais n'hésitons pas à la répéter, si le gore joue un rôle considérable dans l'uvre de Fulci, il n'en constitue pas l'essence. Ne culmine chez lui que l'ambiance qu'il est parvenu à insuffler à chacun de ses films - ou presque - et voilà qui suffit à le distinguer de n'importe lequel de ses homologues.
Né en 1927 à Rome dans un milieu pauvre, Lucio Fulci effectue de laborieuses études de médecine avant de se reconvertir dès les années 50 en scénariste au service de la comédie italienne dans l'air du temps, dont le comédien Totò est alors la star la plus influente. Assez vite, il se forge une jolie réputation dans le domaine, si bien que l'on finit par lui confier une première réalisation. Il s'agit de
I Ladri (1959), mettant en vedette Totò, dont l'échec ne revêt guère de très bonnes augures. S'ensuit une lignée de comédies du même acabit, dont la plupart, si ce n'est toutes, croupissent depuis bien longtemps déjà dans les abysses de l'oubli. Et subitement, un changement de cap avec le western
Le Temps du Massacre, tourné en 1966, qui révèle une toute autre facette, bien plus marquante celle-ci, de Fulci. De petits films populaires sans envergure, le réalisateur est passé à un cinéma à la fois outrancier, pessimiste et complaisamment cruel, où les coups de fouet insistants, les victimes dévorées par les chiens et autres tortures sadiques esquissent d'ores et déjà l'univers hardcore des chefs-d'uvre ultérieurs. Après un bref retour aux comédies de série, Lucio Fulci réalise
Perversion Story, considéré parallèlement à
L'Oiseau au Plumage de Cristal de Dario Argento comme le prototype du « giallo » - thriller à l'italienne qui trouve son origine dans les romans policiers à couverture jaune intitulés ainsi - et bénéficiant d'une certaine renommée auprès des fans de ce sous-genre. La même année voit le jour
Beatrice Cenci, intéressant film historique se déroulant en Italie lors de la Renaissance et basé sur un fait divers réel. Fort d'une belle distribution (George Wilson, Raymond Pellegrin, la sublime et trop méconnue Adrienne Larussa), nantie d'une mise en scène audacieuse et une fois n'est pas coutume encline au sadisme, cette uvre se veut sans doute la plus ambitieuse de Fulci et le cinéaste lui-même la considère comme sa plus grande réussite. Force est de relativiser:
Beatrice Cenci, en dépit de ses indéniables qualités, souffre d'un rythme en dents de scie et suscite par conséquent quelque ennui entre deux scènes assez épiques.
Le Venin de la Peur, de même que
La Longue Nuit de l'Exorcisme, tous deux réalisés à l'aube des années soixante-dix, constituent deux gialli de haut niveau et par la même occasion deux films majeurs dans la carrière de Lucio Fulci, le second plus encore.
La Longue Nuit de l'Exorcisme transpose les codes du thriller transalpin, aux décors jusque-là urbains, dans un cadre géographique rural. Intrigue sophistiquée, réalisation tirée au cordeau, interprétation remarquable, violence et perversité au programme de ce polar campagnard pour le moins excellent. Retour à un univers moins sombre - mais guère exempt de cruauté pour autant - avec
Croc-Blanc, jolie série B d'aventures inspirée du fameux roman de Jack London et tournée dans de beaux décors naturels. Ces mêmes paysages serviront d'ailleurs à réaliser la suite de
Croc-Blanc puis
Les Quatre de l'Apocalypse, western atypique et non dénué d'intérêt dont la bande-son composée par le trio Bixio - Frizzi - Tempera évoque la pop sixties anglo-saxonne à son meilleur. Deux comédies insignifiantes plus tard, Fulci réalise l'un de ses chefs-d'uvre avec
L'Emmurée Vivante, un formidable suspense à l'esthétique léchée et au scénario captivant qui n'est pas sans rappeler certaines intrigues des romans d'Agatha Christie. Dès lors, le réalisateur s'approprie une véritable identité filmique en multipliant par exemple de manière quasi obsessionnelle les zooms sur l'expression oculaire d'un visage.
En 1979 a lieu un tournant de taille dans la carrière de Lucio Fulci:
L'Enfer des Zombies. Le producteur Fabrizio de Angelis souhaite surfer sur le succès de
Zombie de Romero et fait appel au scénariste Dardano Sachetti afin d'écrire ce qui sera finalement une sorte de prologue à l'histoire du modèle américain, se déroulant dans l'un des lieux d'origine du mythe vaudou: la République dominicaine. Sollicité en tant que réalisateur du projet, Fulci ne signe à la base qu'un film de commande, intitulé
Zombi 2 pour des raisons purement mercantiles. Et pourtant,
L'Enfer des Zombies, grâce à une horde de brillants techniciens, transcende le concept du film d'exploitation lambda et se révèle être un puissant zombie movie, à l'atmosphère moite et putride, doté d'une mise en scène exceptionnelle (avec la présence du format cinémascope), d'une musique aussi minimaliste qu'envoûtante signée Fabio Frizzi et d'effets spéciaux franchement saisissants en regard du budget et de l'époque. La pierre angulaire du film de zombies transalpin et la meilleure uvre d'épouvante de Fulci avec
L'Au-delà, tout simplement. Contre toute attente, les recettes de
L'Enfer des Zombies en salles s'avèrent des plus fructueuses et motivent probablement Fulci et son équipe technique du moment à surenchérir sur la voie de l'horreur pure. Entre temps, le réalisateur se fait néanmoins plaisir et livre un polar extrêmement violent,
La Guerre des Gangs, dans lequel brûlure d'un visage au chalumeau, explosion de gorge sous l'impact d'un coup de feu, éclaboussure de faciès à coups de mitraillette, gunfights sanguinaires et viol proche de l'insoutenable contrastent face à une intrigue très banale, voire insipide. Et le flambeau de l'horreur reprend vite grâce à
Frayeurs, superbe voyage au bout du macabre vaguement inspiré de Lovecraft, dont le clou reste pour beaucoup ces deux scènes gore paroxysmiques, soit un vomissement d'entrailles en règle ainsi qu'un meurtre scandaleux à l'aide d'une grosse perceuse électrique, où tout nous est exhibé dans les plus infimes détails. Une fois encore, ambiance, réalisation et décors ne méritent que le qualificatif d'extraordinaire et l'ahurissante musique au synthétiseur de Fabio Frizzi joue même un rôle à part dans l'uvre en soi. Toutefois,
Frayeurs fait en quelque sorte office du formidable brouillon de
L'Au-delà, la clé-d'uvre de Fulci, avec lequel il forme une espèce de diptyque, peut-être le plus beau du cinéma d'épouvante transalpin en incluant celui d'Argento (
Suspiria et
Inferno), d'ailleurs.
Le Chat Noir, pataude adaptation du classique de Poe aux vertus soporifiques, sépare chronologiquement les deux Fulci majeurs que sont
Frayeurs et
L'Au-delà. Ce dernier, tourné en 1981 en Louisiane dans les mêmes décors intérieurs que
La Petite de Louis Malle, demeure le point d'orgue de son auteur doublé d'un summum du cinéma d'horreur italien. Avec sa trame scénaristique dépouillée au possible, son refus à toute logique et son atmosphère onirique tangible,
L'Au-delà n'a d'autre étoffe que celle d'un grand chef-d'uvre surréaliste déguisé en série B ultra-gore. En terme de technique pure, Fulci signe là sa mise en scène la plus aboutie: les cadres et mouvements de caméra, étayés par un somptueux cinémascope, sont la plupart du temps irréprochables et l'étincelante photographie de Sergio Salvati dénote une volonté de raffinement esthétique aussi définitive que chez Bava ou Argento à leurs grandes heures. Le compositeur Fabio Frizzi délivre quant à lui la plus belle bande-son de sa carrière. Basses funky cauchemardesques, mélodies pianistiques tonitruantes, nappes de synthétiseur stridentes, churs sentencieux, violons inquiétants, un authentique petit concerto pour film d'épouvante à écouter et réécouter même en dissociation avec le métrage.
L'Au-delà se conclut sur une allégorie de la faucheuse des plus fascinante, qui en sous-entend long sur la volonté de Fulci consistant à réaliser une sorte de livre d'images macabres sous un angle cinématographique. À la suite de ce coup de maître terminal, le cinéaste boucle sa tétralogie culte avec
La Maison près du Cimetière, angoissante variation sur le thème de la maison hantée qui oscille entre terreur pure et gore outrancier. Le tout ne déroge guère aux leitmotivs des trois chefs-d'uvre antérieurs, à savoir une atmosphère hypnotisante, une esthétique sublime, une bande-son tonitruante et de l'hémoglobine torrentielle. En l'espace de
L'Enfer des Zombies,
Frayeurs,
L'Au-delà et
La Maison près du Cimetière, Lucio Fulci a tout donné. Il a démontré qu'il pouvait sans conteste faire partie de la trempe des plus grands de sa génération et a octroyé à l'industrie du film d'horreur italien quelques unes des plus belles pièces de son puzzle.