par BRUNO MATEI » 19 Janvier 2011, 15:54
LE VILLAGE DES DAMNES.
Un an après Le Venin de la Peur, Lucio Fulci emprunte à nouveau la voie du thriller transalpin, plus communément appelé Giallo, mais dont je vais me réfuter à employer le terme célébré puisqu'il ne s'agit ici en rien du traditionnel tueur ganté vêtu de noir décimant de frêles demoiselles sensuelles dans une mise en scène stylisée suggérant un érotisme sous-jacent.
Le titre stupide à but mercantile, La longue Nuit de l'Exorcisme, est simplement attribué dans notre pays hexagonal attiré par la concurrence sataniste lancée par Friedkin en 1973 avec le succès phénomène l'Exorciste.
D'ailleurs, dans notre pays franchouillard, le film de Fulci ne sortira que 6 ans après sa sortie officielle, c'est à dire en 1978.
Dans un village de Sicile, une série d'infanticides sans mobile apparent ont lieu. La police dubitative des agissements douteux du meurtrier enquête de manière hasardeuse avant de s'orienter vers la possibilité envisagée d'un présumé coupable, un demeuré attardé vilipendé par une bande d'enfants. La population davantage contrariée et affolée ne tarde pas à s'envenimer alors qu'un autre potentielle coupable, une "sorcière" du village semble être la nouvelle meurtrière idéalisée.
Attention aux âmes prudes car Ne Torturez pas le Caneton baigne dans le sordide infantile avec une rare audace (la plus souvent implicite) dans son climat malsain hautement pervers. En adressant ses exactions impardonnables à la mort la plus innocente et inéquitable, celle d'un enfant !
On pénètre d'entrée de jeu vers une découverte incongrue avec le vestige d'une dame sauvageonne déterrant le cadavre d'un bébé décharné à peine reconstitué dans ses mains rêches saupoudrées de terre. On enchaine ensuite dans une éventuelle partie de jambes en l'air négociée entre adultes consentants dans une grange désolée, alors qu'un témoin attardé tente de regarder le spectacle obscène par les volets entrouverts.
Les minutes suivantes nous attèlent au témoignage interdit d'une relation à tendance pédophile entre une jeune femme entièrement nue, âgée d'une vingtaine d'années, et l'assistance impromptue d'un enfant de moins de 12 ans, gêné et attiré par l'anatomie sexuelle de la pécheresse. Une situation hautement éhontée d'une audace incommodante dans les provocations verbales octroyées à la femme vers un jeune enfant intimidé. Une séquence subversive irréalisable de nos jours tant la censure serait de nos jours intransigeante.
C'est dans cette constante ambiance malsaine mêlée de trouble perceptible, accentuée par son climat ensoleillée d'un paysage campagnard que le film va nous infliger durant tout le récit avec un scénario déroutant, inquiétant et captivant.
Lucio Fulci brasse les tabous pour dresser au passage le tableau peu reluisant d'une civilisation rurale intolérante, arriérée, puriste et xénophobe à toute intrusion étrangère venant de la ville urbaine modernisée. Il pointe du doigt la religion catholique sectaire, endoctrinée dans sa chasteté inflexible ainsi que le puritanisme ambiant, abrutissant une population effrayée par l'évolution contemporaine, préférant se focaliser sur des superstitions de pacotille pour prétexter des meurtres à strangulation commis sur leurs enfants.
L'incroyable séquence de lapidation à coups de bâtons et de chaine rouillée se révèle un exemple éloquent de la bassesse humaine et de son impitoyable cruauté à oser fustiger un potentiel assassin dans une justice aveugle.
L'un des seuls moments gores anthologique d'une cruauté quasi insoutenable faisant écho à la torture immolée du peintre maudit de l'Au-dela. Mais une séquence maladive virtuose d'une troublante beauté funeste avec sa bande son musicale décalée et mélodieuse, accentuant le caractère pathétique d'un acte barbare aussi extrême et gratuit. Alors que cette femme agonisante sur la verdure champêtre ira lentement se diriger avec peine vers le bord d'une autoroute auquel aucun automobiliste n'aura la décence de s'arrêter pour lui porter un éventuel secours !
La sublime Barbara Bouchet illumine de sa présence sexy et sensuelle un personnage équivoque, cynique et effrontée dans ses sous-entendus pédophiles. Le spectateur est donc autant attiré par ses charmes charnels indéniables que de vouloir blâmer sa moralité pernicieusement perverse et dérangée.
L'homme au 1000 visages, Tomas Milian dans celui du journaliste consciencieux proche de la vérité impose sa traditionnelle présence et son charisme imparable pour enquêter avec conviction une sombre histoire d'infanticide.
ATTENTION SPOILER !!!! Un journaliste interloqué dans son dernier indice à "tête de canard" qui lui permettra de dévoiler au grand jour une doctrine religieuse corrompue possédant une véritable emprise austère sous-jacente au coeur d'un village reculé, trop ancré dans ses racines vétustes ainsi que son égoïsme primaire épris de lâcheté. FIN DU SPOILER.
Pour clore cette tête d'affiche pertinente, je ne peux m'empêcher de révéler tout l'amour respectueux que je porte pour la superbe Florinda Bolkan dans le rôle d'une sorcière sauvageonne à la beauté trouble et ténébreuse. Elle excelle dans chacune de ses apparitions marginalisées pour son personnage névrosé voué aux forces démoniaques, persuadé d'avoir enfanté antérieurement l'enfant du diable. Son lynchage insufflé, asséné à la douleur bestiale contemplative révèle un moment d'agonie poignant d'une terrible intensité empathique.
LES ENFANTS DU MAL.
Accordons une certaine indulgence aux dialogues futilement superficiels, à une direction d'acteurs chétive (le point faible majeur des films de Fulci), à un trucage gore foiré en dernière ligne droite et aux zooms incessants car Ne torturez pas le caneton est un sommet du thriller transalpin frauduleux.
Une oeuvre étonnamment couillue, étrange par son atmosphère malsaine troublement tangible, passionnante par son scénario tolérant une galerie de personnages marginaux peu recommandables. Le final fructueux et intense exacerbera notre malaise persistant, à nouveau entaché quand à la révélation du coupable désaxé !
Lucio Fulci délivre également en filigrane un constat d'échec sur l'évolution humaine qui en dit mal sur sa nature suspicieuse, consolidée dans ses coutumes et traditions d'un autre âge ainsi que ses restrictions puritaines engluées dans le totalitarisme.
Une pièce maitresse dans la carrière de Lucio Fulci à reconsidérer d'urgence et de loin son film le plus licencieux et incommodant.
P.S: ne ratez pas la sublime ballade musicale du générique final chantée par Ornella Vanoni (Quei giorni insieme a te), d'une beauté nonchalante majestueuse et romantique.
NOTE: À cause de son histoire critiquant l'Église catholique, le film fut mis sur liste noire et ne connu qu'une faible exploitation à travers l'Europe. Avant l'arrivée d'un DVD en 2000, il n'était jamais sorti aux États-Unis.
