par BRUNO MATEI » 01 Décembre 2010, 16:53
LES VIGNOBLES CONTRE-ATTAQUENT !
Trois ans après Lèvres de sang réalisé en 1975, Jean Rollin se reporte au goût du fantastique et de l'horreur car entre temps il aura tourner quelques films X pour renflouer son porte-monnaie. C'est le producteur Claude Guedj qui le rappèle à la raison (pour ironiser) en lui proposant un récit d'épouvante à la mode mâtiné de catastrophe, dans la mouvance des succès américains des seventies en pleine vogue comme Zombie de Romero ou La Tour Infernale de Guillermin.
Rollin accepte de bon coeur cette commande ciblée sur le célèbre mythe du mort-vivant et reprend le thème écolo du Massacre des morts-vivants de Gorge Grau dans une structure de genre catastrophe.
Dans Les Raisins de la mort (quel titre éloquent on ne peut plus juste !) un vigneron va instaurer un nouveau pesticide sur ses vignes contre les insectes nuisibles mais le nouveau produit va empoisonner tout le raisin et répandre une véritable épidémie sur ceux qui auront eu la malchance de goûter le nouveau vin de la région.
Pendant ce temps, une jeune fille du prénom d'Elisabeth accompagnée d'une amie voyage dans un train pour rejoindre son compagnon, gérant d'une exploitation de vignoble. Mais durant le trajet, les deux jeunes filles remarquent que le wagon est presque vide de passagers. Alors qu'un homme à l'allure patibulaire fait son apparition pour s'asseoir à côté d'Elisabeth, installée dans un compartiment neutre.
Peu à peu, le visage de l'inconnu semble se putréfier et laisser transparaître des pustules formant une plaie moribonde envahissante d'une couleur nauséeuse ! Elisabeth, pétrifiée de peur décide de tirer la sonnette du train. En sortant du compartiment, elle découvre subitement dans le couloir le corps sans vie de son amie. Elle décide alors de s'enfuir du train mis en arrêt aux abord d'un pont pour courir à travers champs dans cette région campagnarde reculée.
C'est le début d'un cauchemar irrationnel qu'Elisabeth va subir dans un sinistre village maudit.
Avec une trame inquiétante qui débute par une scène déroutante plutôt réussie et inattendue dans son effet horrifique repoussant, notre aimable faiseur d'images érotico-poétiques ne va pas révolutionner le mythe du Zombie et encore moins celui du film catastrophe. Cependant, il va malgré tout porter sa patte particulière en intermittence avec quelques séquences plutôt soignées qui ne laisseront pas indifférents. Comme le fait de filmer harmonieusement en début de métrage la nature envoutante dans ces paysages ensoleillés de campagne désolée. Il emprunte également sa traditionnelle poésie onirique, lancinante avec la venue impromptue de cette jeune fille aveugle du nom de Lucie, habillée de blanc, divaguant dans une plénitude de verdure séchée par le soleil, aux abords de rochers impotents.
Il y a aussi l'apparition charnelle de Brigitte Lahaie, elle aussi vêtue d'une chemise de nuit couleur colombe, accompagnée de deux grands chiens ressemblant à des dobermans (en référence au Masque du Démon avec Barbara Steele dans une séquence restée dans toutes les mémoires).
Un peu plus tard, au beau milieu d'une nuit hostile, nous retrouverons notre charmante Brigitte dans une posture totalement dénuée de vêtement, laissant apparaitre une anatomie physiquement voluptueuse et sensuelle !
Entre ses quelques séquences clefs, le métrage se résume à un chassé croisé entre l'héroïne faisant connaissance parmi deux présences féminines ainsi que la menace davantage grandissante d'un groupe de paysans zombifiés.
Jusqu'à ce qu'en fin de parcours, elle rencontre sur sa route jonchée de cadavres décrépis deux hommes munis d'un fusil et de dynamite, aptes à exterminer toute la populace contaminée.
L'ambiance paradoxale qui s'y déroule la nuit durant une bonne partie du récit séduit discrètement le spectateur, particulièrement intrigué par l'apparence physique, repoussante des êtres humains contaminés, déambulant dans le village fantomatique. Des hommes et des femmes défigurés laissant transparaitre sur leur trogne ou certaines parties du corps d'horribles plaies purulentes. D'ailleurs, on ne peut pas vraiment parler de zombie puisque nos contaminés ne sont pas morts. Parce qu'un nouveau puissant pesticide aura été testé sur les vignes d'une région rurale, les habitants vont être sous l'emprise incontrôlable d'une lente folie meurtrière, en pourrissant lentement de l'intérieur du corps.
Les maquillages rudimentaires sont malgré tout réussis et font leur petit effet. De plus, on n'a peu l'habitude de voir au cinéma des paysans franchouillards bien de chez nous marcher lentement d'une manière semi amateuriste à la manière d'un zombie idolâtré.
Il y a aussi à divers moments de l'intrigue quelques scènes gentiment gores alternant la maladresse (le coup à la tête d'un mannequin décapité) et la réussite plastique (la fourche plantée dans l'estomac d'une paysanne).
A noter que pour ses effets spéciaux sommaires, Jean Rollin fit appel à un spécialiste italien des trucages venu spécialement pour les besoins du tournage, épaulé d'un maquilleur français.
Le rythme est donc suffisamment entretenu pour ne pas s'ennuyer dans cette aventure insolite que mène machinalement notre héroïne, ne cessant d'aller d'un endroit à un autre en vue de certaines rencontres amicales pour tenter de survivre. Et certaines scènes nocturnes où l'on aperçoit nos paysans pris de rage meurtrière offrent une atmosphère poétique macabre, quelque peu envoutante en étant indulgeant.
La partition musicale mélodieusement déroutante et insolite accompagne certains moments palpables ou d'autres plus anodins pour mettre en valeur une atmosphère de terroir intrigante. Un son électronique monocorde qui créé l'attachement dans sa simplicité.
Les comédiens non professionnels prêtent parfois (certains diront souvent) à sourire, tandis que notre héroïne interprétée par Marie Georges Pascal s'en sort plutôt bien. Comme la 1ère apparition attrayante de la charmante Brigitte Lahaie dans un 1er rôle au cinéma dit traditionnel (en dehors de ces films X).
On évitera d'aborder le jeu pathétique, souvent très maladroit de nos deux compères Félix Marten et Serge Marquand se noyant dans le ridicule dans une séquence finale qui vire à la pantalonnade digne d'un Pecas.
Attention à certains dialogues risibles, voir parfois nullissimes qui prêteront à nous exprimer de manière décontenancée. Comme ce dialogue improvisé, totalement saugrenu et ridicule entre nos deux hommes de terroir, dissertant fougueusement sur leur mésaventure improbable, condamnant notre société fustiger l'environnement écologique.
ATTENTION SPOILER !
Le final hasardeux se termine de manière un peu paradoxale, sans véritable conclusion, si ce n'est que l'héroïne aurait subitement perdu la raison à cause de la déchéance et la fin tragique de son compagnon infecté.
FIN DU SPOILER
Alors que ce revirement dramatique se termine sur une note poétique surréaliste dont Rollin a le secret. Une image épurée, troublante où des petites gouttelettes de sang vont tomber délicatement du haut d'un corps meurtri sur le visage terne d'Elisabeth.
BRIE COMTE ROBERT CHEZ LES TOQUéS DE LA GRAPPE.
Les Raisins de la mort est une bisserie Z sympathique, parfois grotesque et maladroite mais non dénuée de charme frivole dans la beauté attrayante de certaines images ainsi que sa petite ambiance macabre teintée de glauque, doucereusement diffuse.
Un film d'exploitation dénaturant un peu la personnalité singulière de Jean Rollin mais certainement le plus ludique et plaisant de sa riche filmographie. A l'image de sa superbe affiche française.
NOTE: Nous assistons à la première performance d'actrice de Brigitte Lahaie, autre que dans un film X.
Jean Rollin fait une apparition clin d'oeil en début de métrage.
