par BRUNO MATEI » 11 Janvier 2011, 10:35
Premier film du fils d'un réalisateur de génie qui démarra sa carrière en 1983 avec cette oeuvre contemporaine sur le vampirisme réunissant deux illustres stars pour un duo inopiné étrangement ambivalent et hybride. Les Prédateurs est un somptueux poème d'amour et de mort sur les affres du temps et le pouvoir insidieux de la romance éternellement éphémère.
A New-York, John et Myriam sont des vampires vivant communément depuis des millénaires d'un amour passionnel et inaltérable. Jusqu'au jour ou celui-ci est atteint d'une étrange maladie qui le pousse à vieillir si prématurément qu'il lui reste quelques jours transitoires à revendiquer sa vie.
Alors que Myriam semble attirée par la séduisante Sarah, un docteur spécialisé dans la recherche sur le vieillissement que John va contacter en désespoir de cause.
LA VIE, L'AMOUR, LA MORT.
Echec public à sa sortie, ceux qui auront eu l'opportunité de découvrir Les Prédateurs à l'époque des années 80 n'ont jamais oublié sa formidable séquence d'ouverture new wave, véritable petit clip néophyte se déroulant dans une boite de nuit punk où John et Myriam, vêtus de cuir et lunettes noires, guettent leur prochaine proie pour les ramener à leur appartement et les tuer sauvagement en guise de sang frais humain.
Une scène d'intro formidablement montée et dirigée qui débute par une célèbre chanson du groupe de rock gothique Bauhaus interprétant Bela Lugosi's dead (en référence à l'acteur notoire). Un enchainement musical voué à un florilège d'images baroques faisant intervenir en alternance trois endroits distincts pour l'achèvement pactisé de meurtres sanguinaires. C'est à dire l'ambiance high tech et gothique d'une boite de nuit contemporaine, l'environnement serein d'un appartement classieux, tendance victorienne octroyé à notre couple (qui s'est habituellement accaparé de deux invités surprise) mais aussi l'endroit médical d'un laboratoire où un singe emprisonné dans sa cage va dévorer et dépecer son compagnon capucin. Les images sanglantes du combat homérique entre ces deux animaux frénétiques vont se juxtaposer à celle de la violence des meurtres exécutés de sang froid par nos vampires distingués, sans toutefois qu'ils ne se servent de leurs traditionnelles canines pointues et acérées pour annihiler leurs victimes. Notre couple étant dénué d'une dentition tranchante, ils vont se servir de manière méthodique d'une arme pernicieuse attachée autour de leur cou. L'objet en question est un insidieux pendentif égyptien dissimulant une lame aiguisée pour pouvoir les égorger.
En conclusion, ce maelstrom d'images baroques, fascinantes, fusionnelles et dévorantes nous traverse l'esprit transi dans un tourbillon érotico charnel à l'odeur de sang véhément, consolidé pour palpiter la vue et l'ouïe !
Après cet interlude expérimental foisonnant, brusque changement de ton pour une mélodie de musique classique et entrer de plein gré dans la vie quotidienne de ce duo aimant réfugié dans une diaphane demeure aux décors victoriens.
La première partie du film, anxiogène et poignante nous établit avec détail progressiste la lente dégénérescence de John dans son état de vieillissement accéléré par une vitesse croissante implacable, pour ne pas dire vertigineuse. Une déliquescence irréversible déterminée à enlaidir et pourrir l'enveloppe d'un corps immortel voué au vampirisme. A ce titre, les maquillages hyper réalistes de Dick Smith méritent toutes les ovations de son talent d'alchimiste inné et consciencieux.
C'est dans la salle d'attente du cabinet médical de Sarah que John va fugacement se dégénérer, se buriner la texture de l'épiderme le temps d'un après-midi languissant. Une attente interminable du fait que la jeune médecin Sarah ait réfuté sans considération la conviction de John pour sa maladie irrémédiable et fatale.
Mais c'est dans la chaleur soyeuse de la quiétude de son pavillon familier que John va se réfugier pour agoniser dans les bras de sa dulcinée qui lui avait pourtant promis un pacte amoureux pour l'éternité.
Ces séquences intimes, empathiques et émouvantes envers notre couple déstructuré par la maladie dégagent une poésie funèbre dérangeante d'une troublante beauté gracile. Ces scènes majestueuses et sensorielles, élégamment mises en scène dans des décors pastels raffinés, accentués par une photographie flamboyante aux éclairages léchés nous envoute l'esprit, nous interpelle durablement notre conscience fragilisée par la crainte de la mort et au-dela. Tel un opéra morbide attribué à l'injustice du temps qui s'effrite inexorablement et la mort, inéluctable qui s'ensuit.
Mais le coup de grâce émotionnel est porté au spectateur quand Myriam se doit dans l'obligation d'embrigader John dans un cercueil en bois parce que son amant ne peut se résoudre à mourir et reposer en paix, à contrario de continuer à errer dans l'obscurité parmi les morts-vivant. Ainsi en sera le prix à payer quand notre âme corrompue est dédiée au vampirisme, à cette quête indocile et tributaire du sang humain pour pouvoir subvenir à l'immortalité.
La seconde partie du film nous attèle à une relation homosexuelle entre Myriam et Sarah qu'elle aura choisi comme maitresse en guise de succession amoureuse. Beauté limpide érotique sur canapé pour la cause fructueuse de caresses sensuelles et bifurquer vers ses baisers sexuels de corps fébriles s'entrecroisant parmi la soie dénudée de rideaux déliés ! Autant dire que les images érotiques et mélodieuses dégagent une acuité sensuelle d'une beauté épurée !
ATTENTION SPOILER !!!! Mais Sarah, victime vampirisée malgré elle réfutera à sa nouvelle destinée, ce qui emportera également dans sa chute Myriam rattrapée par ses démons vindicatifs, dépités de son arrogance et son hypocrisie affectueuse.
Un final exsangue, sorti tout droit d'un cauchemar incongru épouvanté, ce qui aboutit à une séquence anthologique virtuose, visuellement impressionnante, faisant intervenir des cadavres récalcitrants suintant la mort décharnée et la poussière avariée.
Alors que la dernière image déroutante et équivoque poursuit son iniquité dans la nouvelle destinée d'une jeune novice, victime soumise aux forces du Mal.
FIN DU SPOILER.
Qui aurait pu imaginer une de nos plus grandes stars françaises de l'époque partager l'écran avec un chanteur / acteur de renom américain, réunis ensemble dans un film d'ordre fantastique néophyte et innovant ?
Catherine Deneuve dans le rôle contemporain d'une vampire classieuse de charme, briseuse de rêve, du fait de ses nombreux amants délaissés par l'usure du temps surprend avec pudeur, justesse de ton et sobre aisance de s'approprier un rôle marginal aussi inopiné.
L'hybride David Bowie apporte beaucoup d'empathie et de compassion dans son agonie impromptue, son désespoir nonchalant à se raccrocher au fil de sa vie mais aussi son égoïsme sournois à tenter en dernier recours de sacrifier une jeune adolescente pour le gout du sang salvateur. Une séquence choc acerbe et sans concession qui surprend encore par son nihilisme et le pouvoir insidieux, addictif de celui qui souhaite préserver sa propre existence, surtout quand elle était destinée à l'éternité.
JUSQU'A CE QUE LA MORT NOUS SEPARE.
Réflexion sur l'injustice de la vieillesse causée et le temps inéluctable qui détruit tout, tout en évoquant que l'amour inéquitable est loin d'être éternel, Les Prédateurs est une pierre angulaire du fantastique contemporain. Un magnifique poème d'amour et de mort qui dépeint avec flamboyance la triste destinée de vampires condamnés à mourir éternellement dans l'opacité d'un néant monocorde.
Magnifiquement photographié dans la richesse de ces décors picturaux et superbement incarné par un duo d'interprètes hors norme, le meilleur premier film de Tony Scott est finalement un opéra funèbre, baroque, sensuel, charnel et atypique, l'un des plus beaux films de vampires modernes existant à ce jour.
