Scorsese est un inépuisable. Si
Casino, sorti en 95, demeure son dernier véritable chef-d'uvre à ce jour, de ceux que l'on classe automatiquement parmi les
Taxi Driver,
Les Affranchis,
New York, New York,
Raging Bull et autre sensationnel remake de
Les Nerfs à vif, le cinéaste n'a pas eu pour autant les mains dans ses poches durant les dernières années de son parcours. et
The Aviator, ainsi que cet excellent
Les Infiltrés sont là pour le témoigner. Mister Scorsese a eu la bonne idée de ne pas visionner le matériau d'origine et de se contenter d'apprivoiser uniquement le script d'
Infernal Affairs, ce qui crée un fossé très intéressant entre son film et celui du tandem Mak / Lau, leurs approches visuelles et narratives, leurs styles respectifs. Verdict: pas la moindre influence résulte de ce remake,
Les Infiltrés emprunte une trajectoire entièrement personnelle, et c'est tant mieux.
Tout d'abord, là où Alan Mak et Andrew Lau optaient pour une sophistication formelle extrême, Scorsese ne déroge pas à ses habitudes en nous livrant une mise en scène brute et sans fioritures, mais techniquement irréprochable. L'on remplace ensuite la bande-son moderne d'
Infernal Affairs par une multitude de vieux hits pop/rock chers à Scorsese. Au niveau de l'interprétation, la durée importante du métrage permet une plus grande étoffe des personnages, peut-être trop par moments; quelques longueurs se font tangibles dans la première partie, mais comment se plaindre avec une direction d'acteurs aussi maîtrisée ? Mark Wahlberg n'a jamais aussi bien joué dans ce rôle de flic viril et arrogant, à l'insulte facile, malheureusement secondaire dans l'histoire; quant à Matt Damon, la sobriété lui convient toujours très bien. On pourra reprocher à DiCaprio et Nicholson de cabotiner parfois jusqu'à plus soif, mais on les sent eux aussi sacrément impliqués dans leurs personnages respectifs. Martin Sheen et Alec Baldwin endossent à la perfection les costards de supérieurs hiérarchiques, quant à Vera Farminga, elle supplante même de loin la psychologue apathique jouée par Kelly Chen dans
Infernal Affairs. À noter également que la violence est ici nettement plus accentuée, atteignant son comble lors d'un jeu de massacre final impressionnant.
Mais tous ces bons points n'enterrent guère le bébé de Mak / Lau pour autant. On conservera toujours un faible pour la finesse, l'élégance et le raffinement esthétique du polar hongkongais d'origine, qui ne souffre d'ailleurs pas de ses revisionnages, tant le plaisir persiste. Sous-estimer la richesse cinématographique d'
Infernal Affairs à partir de là relèverait de la boutade absurde, les deux uvres portant tout simplement pour chacune la griffe de leur(s) auteur(s), et ce sans avoir besoin de rougir l'une face à l'autre.
Ne se contentant pas de figurer comme un brillant remake d'un blockbuster HK déjà culte,
Les Infiltrés redonne par la même occasion un bon gros coup de fouet au polar hollywoodien, qui était depuis belle lurette tombé dans les mailles de l'aseptisation et de l'indolence. Scorsese signe un film sec, ultra-violent et très abouti, d'une grande densité narrative, doté d'une distribution en béton et d'un scénario intelligemment détourné. Que demande le peuple ?
8/10