Un pianiste est malencontreusement témoin du meurtre d'une médium trop curieuse pour démasquer un assassin. Intrigué par un détail énigmatique vis à vis d'un tableau dans la demeure de la victime, il décide de mener sa propre enquête. Le tueur susceptible continue sur sa lancée meurtrière en supprimant les témoins gênants.
Chef-d'oeuvre de Dario Argento, véritable panthéon du Giallo novateur, les Frissons de l'Angoisse arrive quatre ans après sa trilogie animale achevée en 1971. C'est avec ce thriller baroque au goût prononcé pour la violence sanguine que le réalisateur va pouvoir déployer sa maestria beaucoup plus circonspecte. Soin du cadrage et travellings tarabiscotés par une caméra mobile, décors insolites d'une recherche esthétique stylisée et raffinement cruel dans l'élaboration de meurtres sanglants. Ajoutez à cela une angoisse sous jacente pour l'investigation criminelle, une ambiance gothique surnaturelle (dans la hantise d'une demeure pour dégoter un macabé décharné !) et un suspense lattent compromis par une narration finaude en trompe l'oeil ! Car ici, méfions nous des apparences et cela dès le générique musical ! Argento se résout en l'occurrence à jouer avec la perception visuelle du spectateur observant un bambin potentiellement coupable ou témoin d'un meurtre commis à l'arme blanche. Dans le salon conjugal d'une nuit de noël, une violentes rixe est entrevue à travers le mur de deux ombres menaçantes. Un cri infantile est soudainement intoné ! Un couteau de cuisine ensanglanté trébuche sur le sol tandis que la scène suivante nous illustre de façon prononcée deux jambes d'un enfant s'approchant près de l'objet tranchant ! Le montage parfaitement structuré est musicalement scandé par une comptine entêtante ! Une séquence d'anthologie roublarde dans son homicide suggéré par un trauma infantile et sa faculté suggestive à semer le doute auprès du spectateur pour tenter de déceler certains indices potentiels ! La suite narrative continue dans cette logique du "faux semblant" avec l'investigation criminelle du héros et la représentation picturale d'un tableau où un détail éloquent lui était préalablement égaré ! C'est ensuite dans une maison abandonnée que Marcus va une nouvelle fois manquer de constance pour décortiquer l'intégralité d'un dessin morbide incrusté à travers les murs. Alors que l'instant d'après, il va pouvoir déceler à travers une photo d'archive que la maison aura finalement divulgué une fenêtre condamnée ! Autour de lui, les cadavres s'amoncellent, faute d'une médium omnisciente, alors que le tueur de plus en plus déterminé va tenter à plus d'une reprise d'intenter à sa propre vie.
Il faut indubitablement louer l''incroyable partition musicale des Goblin déployant avec cadence un tempo entraînant pour mettre en exergue la fascination ombrageuse d'une intrigue criminelle jalonnée d'indices irrésolues. Et Argento d'agencer un goût funeste pour le baroque et l'insolite (jeux de lumière, couleurs hybrides contrastées, architecture picturale de sculptures historiques) mais aussi le surnaturel feutré (toute la fouille archéologique se déroulant dans la demeure gothique) afin de transcender le genre Giallesque dans une mouvance singulière.
Les Frissons de l'Angoisse est notamment le début d'une transition pour le maître d'augurer ses délires sanglants d'un fantastique occulte entrepris 2 ans plus tard avec Suspiria. En effet, on sent déjà ici une nette influence putanesque à confectionner quelques meurtres sadiques d'un réalisme cru et stylisé (la mâchoire d'une des victimes fracassée contre le marbre d'une cheminée puis le bois rigide d'une table ou encore la lapidation infortunée de Carlo qui n'en finit plus d'agoniser !). Le point d'orgue final fertile en déconvenues et péripéties instables instaure avec acuité le mode opératoire du suspense préalablement distillé, juste avant de nous dévoiler l'identité du meurtrier entraperçu dès les cinq premières minutes du film ! Cet alliage d'hermétisme indiscernable, d'anxiété diffuse et de suspense croissant nous confine au sein d'un environnement insécurisant jonché de détails troubles comme ce combat bestial fustigé aux chiens, le lézard perforé d'une aiguille, les tableaux au visages mortifères ou le piano bar et sa clientèle immobile. Tandis que des éléments macabres nous sont accolés à l'enfance galvaudée avec cette symbolique scabreuse d'une poupée pendue avant l'exaction criminelle ou ce pantin de porcelaine au rictus diablotin se projetant mécaniquement sur une des victimes.
Maîtrise technique d'un esthétisme stylisée, intrigue tortueuse émaillée d'éléments patibulaires, meurtres sadiques d'une verdeur audacieuse et science du suspense planifiée autour de protagonistes malhabiles, Les Frissons de l'Angoisse est un puzzle perfide érigé sous les apparences trompeuses. Baignant dans une atmosphère hybride délicieusement funèbre et sublimé par le score inimitable des Goblin, cette oeuvre expérimentale possède en outre une aura de fascination dépassant la raison du spectateur.
Note perso: préférence pour la version courte d'1h47, plus fluide, moins bavarde et mieux rythmée.