par BRUNO MATEI » 29 Mai 2012, 07:01
Version dvd vostf uncut (ou presque: 1H48). Warner nayant pas autorisé le BFI (British Film Institute) à sortir la version restaurée en 2004 et Uncut de 111 minutes, il s'agit ici seulement du montage classé X anglais de 108 minutes (c'est déjà pas si mal). Ceux qui souhaiteraient découvrir cette version, m'écrire en privé.
Chef-d'oeuvre d'hystérie ecclésiastique, les Diables relate avec un sens de provocation couillu le fait historique de l'affaire de Loudun dans les années 1630. Cette chasse aux sorcières suggérée par le cardinal de Richelieu n'était qu'une manoeuvre politique afin éradiquer le père catholique Urbain Grandier, libertin et militant pour la cause protestante.
En 1634, dans la ville française de Loudun, le prêtre Urban Grandier est la cible des convoitises de nonnes lascives. Alors que le cardinal de Richelieu souhaite démolir les remparts du temple religieux, Mère Jeanne des Anges, secrètement amoureuse de Grandier, complote de graves accusations de sorcellerie contre lui.
Oeuvre frappadingue d'une audace incongrue, Les Diables est une perpétuelle spirale de folie hystérique quand l'intolérance et le fanatisme religieux découlent de superstitions satanistes. En pourfendeur farouche, Ken Russel utilise le délire et l'aliénation poussés à leur paroxysme afin de mieux souligner l'absurdité des mentalités fondamentalistes. Dans une mise en scène extravagante déployant l'architecture théâtrale de décors baroques, il nous relate le déclin de l'abbé Grandier, père catholique totalement voué à sa foi spirituelle mais sexuellement libéré auprès de certaines conquêtes féminines. La jalousie de Mère Jeanne, physiquement handicapée et mentalement dérangée, va l'acculer à se retrouver assigné devant un tribunal pour des accusations de sorcellerie. Sous la contrainte de la torture, d'autres nonnes du couvent d'Ursulines vont elles aussi se laisser gagner par le simulacre en guise de délivrance. Sauvées in extremis d'une mort certaine par un exorciste inquisiteur, elles finissent par improviser une orgie débauchée pour se désinhiber de leur frustration sexuelle. Alors qu'autour de la sarabande infernale, les badauds assistent impunément au spectacle dans une complaisance voyeuriste immorale !
Déversant un florilège de situations scabreuses dans les psychés torturés de nonnes sexuellement frustrées, de séquences chocs particulièrement crues pour les séances de torture endurées et d'hallucinations fantasmagoriques caractérisées par l'esprit névrosé de Jeanne des Anges , Les Diables est une descente en enfer jusqu'au-boutiste. Un délire historico-emphatique où tous les personnages insidieux du film se livrent à leurs instincts primaires d'une doctrine fondée sur l'intégrisme pour condamner à tort un homme d'église engagé dans la tolérance. En cinéaste ambitieux et expérimental, Ken Russel nous entraîne dans un cauchemar frénétique où la folie et l'hystérie collective ébranlent le spectateur sans verser dans l'esbroufe racoleuse. Si certaines images restent parfois insupportables de réalisme cru, le réalisateur évite la complaisance pour énoncer avant tout un fait historique édifiant afin de dénoncer toute forme de fanatisme et de croyance hérétique. Noyé dans un florilège d'images scandaleuses, outrageantes et subversives, les Diables n'oublie pas pour autant de mettre en exergue la dimension humaine d'un prêtre catholique libéral. Le calvaire d'un homme de Dieu fustigé par un état totalitaire et délaissé par ces concitoyens influents alors que son éthique n'était que prodiguer tolérance et charité.
Dans le rôle de l'Abbé Grandier, Oliver Reed endosse son personnage avec une vérité humaine aussi pugnace que désabusée dans sa quête rédemptrice de prouver à un tribunal partial qu'il n'a jamais discrédité la parole de Dieu. Son courage inflexible de supporter des actes de tortures inhumaines et sa dignité de pouvoir encore exclamer au peuple son innocence devant le bûcher inspirent une foi inébranlable spécialement poignante. Pour incarner celle par qui le scandale est arrivé, Vanessa redgrave (étrangement suave !), se révèle proprement inquiétante en victime estropiée d'une bosse dorsale. Rongée par la jalousie, la frustration sexuelle et envahie de visions spirituelles sur l'agonie du Christ, son profil pathologique nous effraie autant qu'il nous affecte dans sa déchéance mentale victime d'une idéologie puritaine.
Les fous de Dieu
Pamphlet rigoureux contre l'intégrisme religieux romain et l'inquisition chargée d'éradiquer les hérésies, Les diables est un témoignage sans concession d'une époque vétuste effrayée à l'idée d'adopter la contre-réforme du protestantisme. Choquant, hystérique et décadent pour la religion sévèrement ébranlée par l'ignorance de nonnes repenties en "possédées de Loudun", ce chef-d'oeuvre blasphématoire est avant tout une ode au libéralisme et à l'indulgence.
