L'introduction, avec une caméra subjective représentant l'arrivée de Sanshiro (le héros du film) au centre du village où se trouve l'École Shinmei de Jiu jitsu, exprime d'emblée l'univers de Kurosawa, cet univers à la fois fait de majesté visuelle, de poésie traditionnelle et de mélanges de cultures (l'on se croirait dans une uvre de Chaplin, le temps d'apercevoir les costumes des policiers et la diligence ambulante lors de cette première séquence).
Mais remettons les choses dans leur contexte:
La Légende du Grand Judo, premier long-métrage d'un cinéaste au talent pharaonique et de loin guère le dernier dans sa prolifique filmographie, paraît en 1943, puis se voit réédité l'année suivante, mais sérieusement amputé par la censure d'alors. Le fait que les coupes en question ne furent jamais retrouvées amplifie considérablement la valeur de la bande, tout en nous laissant sur une petite note de déception au vu de ne pouvoir aujourd'hui découvrir la richesse de celle-là dans son intégralité.
Heureusement, le charcutage ne semble pas avoir amoindri la densité plastique, narrative et émotionnelle du film, c'est le cas de le dire. Les scènes d'affrontement au judo rivalisent de nervosité et de vraisemblance chorégraphique, mais elles laissent énormément la place à l'histoire de Sanshiro, Sanshiro ce jeune chien fou d'abord expert en jiu-jitsu puis reconverti en judoka dont la force colossale et le manque de spiritualité finissent par inquiéter son maître. Notre ami s'entraîne alors pour un duel avec un professionnel vieillissant, mais il se prendra d'amitié pour la propre fille de ce dernier sans le savoir et découvrira rapidement la vérité, ce qui déstabilisera son caractère impétueux tout en lui faisant subitement recouvrir des sentiments plus humains. On peut dire avec cela que Sanshiro a l'étoffe d'un héros, d'un vrai héros qui, comme le déclare Kurosawa, parviendra à ses fins quels qu'en soient ses moyens.
La Légende du Grand Judo, c'est aussi le premier symbole d'une fascination pour nos valeurs originelles que sont le respect mutuel, la foi et la dignité, mais également pour la nature (une fleur, un ciel brumeux, un champ ébouriffée par le vent), des caractéristiques-clés inhérentes à bon nombre des uvres futures du réalisateur.
Un film indispensable, un précurseur en son genre, qui reconstitue l'année 15 de l'ère Meiji et l'apparition du judo avec une maestria éblouissante, tout en s'auto-doublant d'une fresque martiale, certes courte dans sa durée, mais pétrie de beauté et d'humanisme. Grandiose.
8/10