par BRUNO MATEI » 16 Novembre 2010, 21:26
L'ALCHIMISTE.
Trois années après la sortie de Suspiria, Dario Argento se résigne à renouer avec le monde occulte (et féérique) des sorcières latines dans cette forme de (fausse) suite qui reprend avec le même talent visuel les ingrédients chers à l'opéra de l'horreur concocté en 1977. C'est à dire un jeu de couleurs festives, des décors architecturaux aux édifices somptueux et baroques et des scènes de meurtres percutantes mis en scène sur un score musical hypnotique pour accompagner classieusement chaque séance filmée comme un vidéo-clip artistique.
Le scénario hasardeux d'Inferno ne suit pas la logique des étranges évènements décrits ici, le film se résumant à un florilège de séquences magnifiques juxtaposant la beauté picturale et l'horreur sanguinolente à travers ses personnages lambdas influencés par le mystère de l'occultisme.
Après la mise en lecture d'une jeune fille fasciné par son roman intitulé "les 3 mères", cette dernière décide de trouver les origines et les secrets de son ouvrage en allant se confronter au bibliothécaire situé juste à côté de son immeuble académique. Un vétuste bâtiment à plusieurs étages délivrant une immense bâtisse teintée d'onirisme, ponctuée de couleurs vives, aux nuances bleutées, roses, jaunes et rouges sang.
Après avoir écouté attentivement les renseignements du rugueux bibliothécaire, la jeune fille ira se diriger dans la cave de son immeuble pour tenter de décortiquer le sombre secret des trois mères. Suite à la chute de ces clefs dans un gouffre aquatique, l'héroïne décide de s'y laisser glisser pour les récupérer, tandis qu'elle se retrouve subitement devant l'étendu d'un paysage trouble d'une salle de bal engloutie par l'eau, sous la ville de New-York.
Cette superbe séquence à la poésie lancinante et inquiétante laisse surgir au dernier instant un cadavre se laisser lentement remonter du fond de l'eau pour aller embrasser l'héroïne horrifiée. Prise de panique, elle tentera en vain de repousser avec l'aide de ses pieds le macchabée défiguré !
Cette première séquence clef (!) n'est que l'entrée en scène d'une succession d'incidents meurtriers où chaque protagoniste impliqués dans la révélation des trois mères vont être le témoin de forces démoniaques fermement décidées à annihiler ceux qui souhaiteraient découvrir le secret de leur sortilège.
Avec un jeu de lumière plus gracile et moins saturé que dans son chef-d'oeuvre Suspiria, Dario Argento ne se répète pas et refuse ici un copié-collé à l'emporte pièce. Il nous attèle cette fois dans une forme de rêve irrationnel basé sur l'alchimie (et non la sorcellerie), confus et indéfinissable. Des séquences oniriques suprêmes sont assemblées les unes aux autres comme des moments prodiges horrifiques qui laissent exprimer une horreur théâtralisée, une cérémonie dantesque où la Mort épanouie est reine, jusque dans ces flammes de l'enfer.
Le score musical de Keith Emerson et les envolées lyriques de Verdi inscrivent des séquences virtuoses éblouissantes comme celle de lamphithéâtre à Rome, où Mark et Sara assistent à un cours de musicologie. Le souffle d'un vent violent ira se projeter vers la présence docile de Mark pour être ensuite décontenancé par l'apparence irréelle d'une vertueuse jeune fille aux yeux bleus persans, assise à quelques mètres de sa table et accompagné d'un chat angora enlacé sur sa poitrine !
Il y aussi cette séquence magistralement oppressante impliquée dans l'effet d'effroi et de défaillance quand Sara, réfugiée dans son appartement en compagnie d'un inconnu, sera tué à coup de couteau sous la tonalité majestueuse du Nabucco de Verdi. Une partition musicale inscrite sur un électrophone qui s'interrompra en intermittence à cause d'une coupure d'électricité. Cet évènement abrupt va amplifier à grand échelon le sentiment d'insécurité qui plane subitement dans l'appartement. La violence fulgurante, âpre et brutale frappera alors à deux reprises.
Tandis que la séquence impromptue de l'attaque des rats sous le témoin lunaire d'une étrange éclipse reste le meurtre le plus surprenant, cruel et incompréhensible dans son ironie incisive et sa chute caustique dénuée de raison.
Attention Spoilers !!!
Le final envoutant et spectrale laisse enfin apparaitre les coupables de cette macabre mise en scène, à savoir l'alchimiste, créateur de la construction de la demeure et la Mort en elle même, responsable de tous les maux du monde.
Fin du Spoiler.
On aura beaucoup critiqué cette séquence théâtrale laissant apparaitre le visage osseux de la mort baignant dans les flammes de l'enfer mais personnellement, je la trouve au contraire en concordance à tout ce qui nous a été présenté antérieurement. Il s'agit d'une vision inopinée, folklorique qui apporte le ton équitable dans son spectacle lyrique nappé d'effusion de sang, souvent dénué de vérité, de sens et de raison.
Inferno reste un somptueux ballet atypique peut-être encore plus éloquent et lumineux qu'à l'époque de sa sortie (rajeuni aussi grâce aux sorties des superbes copies Dvd et Blu-ray).
L'avalanche de décors somptueux (de l'architecture baroque des bâtiments hautains à l'intérieur raffiné de ses demeures distinguées), l'ambiance macabro-féérique alimentée par les musiques classiques d'Emmerson et de Verdi nous entrainent dans un cauchemar délicat d'une beauté sans égale.
Le côté maladroit du jeu pas très expressif du jeune Leigh McCloskey n'amenuise pas à mon goût la crédibilité de l'esprit flamboyant d'Inferno puisque chaque protagoniste n'est qu'un simple pantin servant à la cause de la mort.
Une faucheuse ambitieuse de ses méfaits pour nous retranscrire avec sensualité ses sublimes méfaits morbides dans son art de l'agonie. Et derrière ce masque, un maestro DARIO ARGENTO !
