Titre d'Origine: The Keep
Réalisateur: Michael Mann
Année: 1984
Origine: U.S.A.
Durée: 1h36
Distribution: Scott Glenn, Alberta Watson, Jurgen Prochnow, Robert Prosky, Gabriel Byrne, Ian Mc Kellen, William Morgan Sheppard, Royston Tickner, Phillip Joseph.
Sortie en France le 2 mai 1984, U.S: 16 Décembre 1983.
FILMOGRAPHIE: Michael Kenneth Mann est un réalisateur, scénariste et producteur américain né le 5 Février 1943 à Chicago.
1979: Comme un Homme Libre, 1981: Le Solitaire, 1983: La Forteresse Noire, 1986: Le Sixième Sens, 1989: LA Takedown, 1992: Le Dernier des Mohicans, 1995: Heat, 1999: Révélations, 2001: Ali, 2004: Collatéral, 2006: Miami Vice, 2009: Public Enemies.
Deux ans après son superbe polar stylisé, Le Solitaire, Michael Mann s'attelle en 1983 à transposer le roman de Francis Paul Wilson, The Keep, récit fantastique retraçant la dualité du Bien et du Mal sur fond d'occupation nazie. Néanmoins, La Forteresse Noire, initialement prévu à l'origine pour avoisiner une durée conséquente de 3 heures, se voit réduire de moitié par la production, faute d'un budget non conforme. En outre, quelques incidents techniques comme la mort du superviseur des effets-spéciaux, le climat hivernal rigoureux et les toquades de certains comédiens vont encore compromettre une oeuvre ambitieuse à la réputation maudite. Aujourd'hui, La Forteresse Noire est enfin reconnue par une horde de fans transis d'amour pour le travail consciencieux accompli par Michael Mann et son équipe. Car 30 ans après sa sortie, ce diamant noir malmené par la vicissitude reste d'une acuité ensorcelante !
Avril 1941, Europe de l'Est. Dans les montagnes rocailleuses d'un village des Carpathes, une armée d'officiers nazis sont dépêchés sur les lieux d'une mystérieuse forteresse noire. 108 croix en nickel sont scellées dans les murs en interne de cette prison de pierre. Deux soldats un peu trop curieux décident de voler l'un des crucifix mais libèrent incidemment une force occulte au pouvoir démoniaque. Rapidement, les officiers allemands craignent que des partisans du village ont commandités ces meurtres. Au même moment, un nouvel escadron de SS régi par un capitaine impassible vient d'arriver dans l'enceinte de cette contrée maudite.
S'il fallait prouver l'indéniable pouvoir d'envoûtement et de lyrisme octroyé à la Forteresse Noire, il suffit simplement de jeter un oeil sur son fameux générique fignolant inlassablement un plan séquence vertigineux en amont de l'immensité d'un ciel nuageux suivi de l'arrivée à basse altitude d'engins motorisés conduits par les nazis. C'est avant tout le score prégnant de Tangerine Dreams qui exacerbe ces images diaphanes d'une beauté irrationnelle, accentuées en intermittence par des effets de ralentis limpides. En cinq minutes chrono, Michael Mann nous immerge de plein fouet dans la campagne isolée d'un état roumain auquel le 3è reich vient de conquérir par esprit de mégalomanie. C'est avec la découverte insolite de cette immense forteresse occupée par les nazis que les forces du Mal vont être incidemment délivrées avec comme unique ambition d'annihiler notre terre.
Dans un florilège d'images flamboyantes scandées par cette partition électronique lancinante (l'arrivée des nazis dans le village, la traversée maritime crépusculaire, l'échange torride des deux amants en étreinte sexuelle, la relation paternelle de l'historien avec sa fille), l'atmosphère d'étrangeté qui en émane (la visite de la forteresse narrée par le prêtre envers un officier, la première rencontre avec Glaeken, les offensives surnaturelles commises en pleine nuit contre les soldats, le climax apocalyptique sous un épais brouillard) hypnotise les sens du spectateur immergé dans un univers atypique jamais vu au préalable ! Les décors baroques et opaques découlant d'un environnement gothique hérité du vampirisme et cette brume blafarde tapissant ses paysages clairsemés nous emmènent par la main vers une dimension onirique d'une rare intensité émotionnelle. A travers le récit fantastique d'un golem voué à l'achèvement du monde, Michael Mann juxtapose cette menace substantielle au spectre du nazisme pour énoncer une métaphore sur l'instinct du Mal et son hypocrisie mécréante. Hormis les carences du budget, l'esthétisme formel qui en découle et le soin imparti à la physionomie de la créature, impressionnante de robustesse, nous entraînent dans une odyssée opaline au bout du crépuscule.
Hypnotique, sensoriel, lyrique, envoûtant et d'une puissance visuelle rarement rendue aussi tangible au cinéma, La Forteresse Noire est un splendide poème mortifère sur la dualité du Bien et du Mal. La mise en scène ambitieuse de Mann, en créateur d'images, l'exceptionnel partition élégiaque de Tangerine Dreams et la densité des comédiens pourvus d'un charisme buriné ou sensuel (Scott Glenn, Gabriel Byrne, Ian Mc Kellen, et dans une mesure charnelle Alberta Watson !) transcendent cette perle en quintessence formelle du cinéma Fantastique atypique. On quitte de manière latente ce cauchemar enivrant avec la mélancolie nonchalante d'avoir rompu si brusquement avec son univers fantasmagorique. Car au delà de sa projection, La Forteresse Noire perdure sa vibration pour rester à jamais poinçonnée dans nos coeurs blessés...