Après l'échec cuisant de
Dodes'kaden suivi d'une tentative de suicide, Akira Kurosawa part en Sibérie afin d'y tourner ce magnifique récit sur l'amitié, la nature et la survie, dans lequel se mêlent aventure, émotion et poses contemplatives entièrement justifiées grâce à la splendeur sauvage de la Taïga. Formidable film-itinéraire où s'amoncellent les morceaux de bravoure, les instants d'humanisme et les prouesses techniques tous trois parfaitement inhérents à l'univers du
senseï,
Dersou Ouzala fait néanmoins dériver la trajectoire kurosawaïenne de quelques degrés dans le sens où les portraits de guerriers et samouraïs dans le cadre d'un japon féodal laissent ici place à une étude - certes au demeurant esquissée - sur le quotidien des troupes de soldats russes ayant pour mission d'agrandir les territoires de l'état-major moscovite au début du XIXe siècle. La rencontre impromptue d'un petit chasseur golde qui va leur servir de guide durant le reste de leur périple va par ailleurs donner lieu à une poignante histoire d'amitié entre deux hommes, Dersou le menu bonhomme doté d'un flair de renard mais effrayé par la civilisation, et le capitaine Arseniev, qui semble un peu perdu dans le ventre de cette jungle froide. La ligne temporelle de l'uvre est divisée en deux années différentes, 1902 puis 1907, qui marqueront chacune les aventures communes de Dersou et d'Arseniev, avant que ce dernier ne propose au chasseur solitaire de venir passer le restant de ces jours parmi sa petite famille dans les chaumières d'un village russe sans âme et où il ne parviendra jamais à s'adapter. De ce film beau, gracieux et crépusculaire, l'on retiendra plus particulièrement deux séquences d'action et de survie qui resteront indéniablement gravées dans les mémoires: un éprouvant combat contre le vent et le froid au centre d'un lac gelé mené par Dersou et Arseniev, puis le sauvetage de Dersou bloqué dans l'agitation d'un torrent. Magnifique, grandiose, d'un réalisme à couper le souffle, jamais il n'y aura mot suffisamment ample pour décrire la virtuosité de Kurosawa en ces instants-là. C'est sans compter sur le duo d'acteurs exceptionnel formé par Maksim Munzuk et Yuri Solomin que
Dersou Ouzala se hisse au panthéon des classiques de son auteur; de surcroît, les prises de risque exotiques de Kurosawa en redoublent l'intérêt, faisant de lui une pièce rare, précieuse et atypique, pas moins que majeure. 2h20 de grand cinéma.
9/10