
Le carnaval des âmes
Carnival of souls
Genre: Fantastique/épouvante
Pays: Etats Unis
Année: 1962
Réalisateur : Herk Harvey
Avec : Candace Hilligoss, Frances Feist, Sidney Berger, Art Ellison
Le carnaval des âmes est le seul film que réalisa le pourtant productif Harold « Herk » Harvey. En fait le réalisateur est également lauteur de centaines de documentaires à lusage dentreprises ou dassociations diverses.
Lidée du film lui vient à la fois de la nouvelle An occurrence at Owl Creek Bridge de Ambrose Bierce et de la visite dun parc dattraction situé près de Salt Lake City dont latmosphère le marque. Et même si pour écrire le script et réaliser le film il sentoure de collaborateurs variés (dont son ami John Clifford), Le carnaval des âmes reste un film très personnel et intime : Herk Harvey en est ainsi le scénariste, le réalisateur, le producteur et il y joue même le rôle de lhomme mystérieux qui poursuit lhéroïne.
Le film nous conte donc lhistoire de la jeune Mary, qui se trouve embarquée dans une course entre la voiture conduite par ses amies, jeunes délurées typiques des années 60, et une voiture conduite par des garçons fiers et moqueurs. Mais la course tourne au drame quand la voiture des filles fait une embardée et finit sa course dans leau boueuse dune rivière profonde.
Les témoins saffolent et les secours se démènent, très vite des recherches sont organisées et on drague leau de la rivière, sans succès. Seule Mary finit par réapparaître à la surface, le visage couvert de boue et lair hébétée.
Organiste déglise, elle quitte la ville une fois remise, à la recherche dun autre endroit ou vivre et travailler. Mais une fois sur la route elle se sent poursuivie et devient la témoin dapparitions fantomatiques de plus en plus fréquentes

Une histoire bien étrange, que Herk Harvey tournera en 3 semaines avec un budget de seulement 30 000 dollars. De lécriture à la production, il ne se sera écoulé que 2 mois. Le film est tourné en 16 mm (mais sera gonflé en 35 mm pour lexploitation en salles) et en noir et blanc, pour des raisons budgétaires principalement. Mais le noir et blanc lui donne aussi un aspect surréaliste et stylisé, proche de lexpressionnisme cher aux cinéastes allemands. Et finalement bien plus que le scénario ou linterprétation, cest cette mise en scène pertinente et inspirée qui fait de ce film un des chefs duvres les plus marquants de lhistoire du cinéma.
En véritable chef dorchestre sûr de son talent, Herk Harvey donne naissance à une atmosphère nimbée de mystère et dépouvante qui sinsinue insidieusement dabord parmi les personnages du film, puis très vite parmi les spectateurs. Telle une construction implacable et subtile, cette ambiance se nourrit de tous les éléments du film. Le scénario, qui bénéficie dune narration limpide et parfaitement huilée, laisse planer beaucoup de zones dombres aptes à laisser courir notre imagination. Il contient également bon nombre de trouvailles narratives et visuelles particulièrement habiles (le dénouement notamment avait fait son petit effet à la sortie du film en 1962). Mais paradoxalement la force principale du scénario cest sa capacité à nous faire progressivement oublier le déroulement strict de lintrigue au profit de linquiétante étrangeté de lhistoire. Arrivé à un certain stade du film, ce qui importe ce nest plus comment lhistoire va finir, mais au contraire quelle ne se finisse pas. Pas que le charme bizarre qui se dégage des images ne cesse pas, et que ça continue. Le carnaval des âmes est assurément un film très envoûtant, qui nous emporte tout entier avec lui pour ne jamais totalement nous laisser repartir. Envoûtante, la musique lest aussi. Les partitions dorgues qui nimbent le film dun air lugubre et bizarre participent aussi à lélaboration de cette atmosphère pleine de charme et de maléfices. Cette mélopée étrange, en plus du symbolisme très fort lié à son rôle dans lhistoire, joue un rôle voisin dans la réalité dans la mesure ou elle envoûte aussi le spectateur et le plonge véritablement dans le film.
Les acteurs sont là pour donner corps à cette étrange fantasmagorie. La jeune Mary est campée par Candace Hilligoss qui pousse son jeu jusquau bord de la folie. Enfin toutes les créatures fantomatiques qui simposent à elles impressionnent par leur maquillage (visage blafard, yeux soulignés de noir). Mais cest surtout la mise en scène qui leur donne une présence réelle et inquiétante. Ces scènes où on les voit sapprocher inexorablement de la caméra, les yeux comme braqués sur nous, ne sont pas simplement hypnotiques, mais diffusent un sentiment de terreur pure quon a bien du mal à contrôler. Herk Harvey a réussi à créer avec ces êtres des sortes de fantômes universels et inhumains, leurs mouvements glacés et leur silence inquiétant terrifient encore plus de 40 ans après la sortie du film.
La mise en scène et le caractère surréaliste du film créent une ambiance irréelle, et brouillent les frontières entre fantasmes et réel. Dans cette zone ambiguë, perdue entre deux mondes que tout oppose, nimporte quoi peut arriver, et lapparition de ces êtres étranges qui semblent échapper à toute définition devient vraiment inquiétante.

Bref, Le carnaval des âmes est une de ces uvres rares, où chaque élément du film se révèle pertinent et utile. Cest un film qui, malgré le budget et le peu de temps de tournage, témoigne dune incroyable maîtrise de la mise en scène et de la narration. Un film sans doute très cher à son auteur, qui y insuffle quelque chose dindéfinissable et de novateur, ce qui explique limpact quil a eu sur le cinéma en général. Les oeuvres de Polanski, Burton, et surtout Lynch lui doivent énormément. La présence quont à lécran des personnages tels que Denis Hopper dans Blue velvet ou lhomme mystérieux de Lost Highway est directement héritée du film de Harvey. Romero sen inspire aussi pour ses zombies dans Night of the living dead, et Shymalan reprend certains principes narratifs pour son Sixième sens. Ce film continue de fasciner encore aujourdhui et sans doute malgré le talent des réalisateurs qui sen inspirent ne sera-t-il jamais égalé tant son impact demeure encore fort

Enfin, à titre informatif uniquement signalons que ce chef d'oeuvre à donné naissance en 1998 à un encombrant remake, réalisé par Adam Grossman et produit par Wes Craven, qui n'a retenu que très peu d'aspects de l'original et qu'il est recommandé d'éviter comme la peste.