Deux années après l'impersonnel thriller calibré, Crimes à Oxford, le farceur sardonique Alex De la Iglesia revient en grande pompe avec l'un de ses films les plus durs et cruels illustrant sous une sombre période politique fasciste, l'impossible idylle de deux hommes épris d'amour fou pour une jeune acrobate.
1937, Madrid. En pleine guerre civile espagnole, un clown est enrôlé de force par les soldats républicains, déployés en force en pleine retransmission d'un spectacle pour enfants. Fou de rage et de haine en interne des combats belliqueux, il décime plusieurs ennemis nationalistes. Arrêté et emprisonné, il consigne à son jeune fils Javier de devenir pour sa postérité un clown triste engagé dans la vengeance. Quelques décennies plus tard, Javier est embauché dans un cirque régi par Sergio, un clown alcoolique et violent, fou amoureux de sa dulcinée acrobate, Natalia.
A feu et à sang, pourrait-on évoquer à la fin du nouveau spectacle flamboyant, barbare et frénétique du diablotin farceur Alex de la Iglesia. Une fois encore, l'hystérie collective, l'esthétisme visuel funèbre, la structure narrative anarchique et le portrait baroque de personnages délurés nous entraînent dans un cauchemar atypique inopinément brutal et désenchanté.
En dépeignant l'histoire romantique de deux clowns avides d'affection pour une jeune femme charnelle, le réalisateur se mue en pourfendeur pour dépeindre leur lente emprise vers la folie meurtrière dans une période politique despotiste.
Le préambule qui ouvre le bal sur un spectacle infantile de clowns cocasses gesticulant leur grimacerie pour rendre hilare une assemblée d'enfants conquis va brusquement changer de ton avec l'approche bruyante de mortiers résonnant sous la toile du chapiteau. Une guerre civile dépliée dans les rues adjacentes va violemment interrompre le spectacle, affoler l'enfance dépréciée et envoyer un clown irascible vers les champs de ruine.
La rupture de ton est particulièrement violente et abrupte puisque nous allons entrer de plein fouet au milieu des combats chaotiques dans un déchaînement de violence barbare incongrue. A la manière du soldat Ryan de Spielberg, les séquences virtuoses et spectaculaires impressionnent par son réalisme cinglant et préfigure un réalisateur inflexible, lourdement accablé par la folie guerrière putanesque.
Ce sentiment amer d'une guerre toujours plus cruelle pour la conquête des anarchistes va faire planer un climat d'insécurité durant tout le métrage avec le profil psychologique opté pour nos deux clowns inconsciemment marqués par une société intolérante et dictatoriale. Un préjudice lourdement galvaudé avec le personnage élégiaque de Javier, témoin juvénile des massacres perpétrés en 1937 durant la guerre civile, auquel son paternel emprisonné lui aura recommandé de préserver une trogne triste face à l'intolérance du monde fustigeant sans détour l'enfance meurtrie.
Dans une photographie crépusculaire et désaturée scandée par un score musical échevelé, Balada Triste nous illustre personnellement un conte noir d'une beauté opaque aigrie, enragée et désespérée. Cette farce caustique intoxiquée par l'influence des rancoeurs dépeint avec une rage incontrôlée l'ambition romantique de Javier, fou amoureux de la jeune acrobate Natalia, rendue masochiste par un mari chérissant. Un leader autoritaire en demi-teinte puisque respectueux de sa profession d'artiste accompli devant l'innocence infantile mais ordurier quand il se laisse quotidiennement happer par la violence explicite, faute d'une grave dépendance à l'alcool.
Les deux amants complices vont alors entamer une liaison dangereuse face à un Sergio davantage dépité, obsédé à l'idée de perdre son idylle sensuelle. C'est à la suite d'une rixe entre les deux hommes que Javier va peu à peu sombrer dans une folie aliénante irréversible. Dès lors, l'ambiance insolite toujours aussi cynique va davantage s'exacerber vers une folie psychotique face à leur conflit d'égo désespérément vain. Alors qu'un attentat terrorriste est perpétré contre le président Franco, les monstres de foire victimes de leur déchéance animale vont inlassablement se combattre, s'entretuer pour une cause romantique déçue.
LA MONSTRUEUSE PARADE.
Sous un titre aérien judicieusement approprié et prévisible, Balada Triste est un conte débridé, sauvage, cruel, ultra violent et désespérément lamenté. Cette fuite chaotique vers un amour exutoire nous emmène dans un univers dantesque remplie de références aux classiques insolites antiques. En effet, l'ombre de Batman de Burton (le pingouin est un cousin de Javier), de Santa Sangre ou de l'Inconnu de Browning s'agencent pour hanter un magnifique pamphlet contre la haine guerrière abrutissante et ses dictatures mégalomanes. L'épilogue bouleversant dans son pathétisme déplorable nous laisse de marbre face à cette solitude intempestive. Une tragédie déshumanisée auquel deux pantins torturés se seront maladroitement laissés happer par l'esprit influent (l'horreur des guerillas contamine l'âme du pays !) d'une rebellion vindicative.
On en oublierait presque d'ovationner la prestance innée des comédiens habités par leur aisance extravagante.